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en cela avec toutes les morales, la violation du serment politique ; or il est souverain depuis trop longtemps pour n’avoir pas fait bon visage à plus d’un violateur heureux de serment. Nous sentons néanmoins que dans cette circonstance il ne sied point de masquer de gaîté un chagrin sérieux et profond. L’encyclique du saint père a frappé ses amis et ses ennemis d’une égale stupeur. Pour nous, elle n’a rien qui puisse nous affliger, si nous considérons l’influence que cet acte peut exercer sur la durée du pouvoir temporel de la papauté ; mais nous en sommes très sincèrement attristés quand nous songeons au trouble qu’elle va produire à travers le monde entier dans les âmes.

Il va sans dire que nous n’avons point à nous occuper des jugemens portés par le pape sur celles des erreurs condamnées par lui qui touchent au dogme, à la doctrine théologique et philosophique, à la morale. Dans cette région, le pape est en son vrai domaine, dans le domaine spirituel, celui dans lequel les dissidens eux-mêmes, qui reconnaissent les droits de la liberté de conscience, admettent que le pape a le droit de parler aux catholiques avec l’autorité que ceux-ci lui accordent. Quant à ses jugemens sur les questions qui touchent à l’état civil et politique des sociétés modernes, nous ne nous en plaindrions point, si nous n’avions en vue que le tort que de pareilles idées, aussi hardiment, aussi opiniâtrement, aussi absolument exprimées, peuvent faire à ce qui survit encore du pouvoir temporel de la papauté. Enfin, peut-on maintenant dire à tous l’encyclique du pape à la main, l’épreuve est consommée. Vous voyez que toute idée de transaction est un amusement chimérique ; vous voyez que tout compromis est impossible. La liberté de conscience est rejetée comme une abomination ; l’idée si douce de la tolérance est repoussée comme une désertion de la vérité ; le pape revendique au nom de l’église le droit de réprimer par les peines corporelles les transgressions de ses lois spirituelles. On est saisi involontairement d’un frisson de dégoût et d’effroi quand on se rappelle le passé où ces prétentions n’étaient pas seulement des rodomontades sans effet, où elles étaient interprétées par les violences et les cruautés de la force fanatisée. Quand on regarde l’avenir, il ne semble pas possible que des esprits éclairés, que des âmes justes veuillent arbitrairement conserver sur le plus petit coin de terre la puissance temporelle à une autorité théocratique à qui cette puissance servirait à réaliser de telles prétentions. L’encyclique du pape nous rend le service de faire sentir à la France le gigantesque contre-sens de la présence de nos troupes à Rome. Ce document résout définitivement dans la conscience de la France la question italienne et la question romaine.

Mais ce qui nous afflige, ce que nous ne pouvons voir sans un serrement de cœur, c’est le lien terrible que l’encyclique impose à la conscience des catholiques dans tous les pays où la société civile est fondée sur les principes maintenant condamnés avec tant de solennité par la cour de Rome. Par un inexplicable esprit de défi, la cour de Rome reprend sur la société