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civile toutes les prétentions que l’on croyait usées par le temps, neutralisées par les concordats, et qui avaient justifié depuis le XVIe siècle les défiances profondes entretenues par les nations protestantes contre ceux qui dans leur sein étaient restés fidèles au catholicisme. Le catholique pur, celui qui va s’unir à la pensée de l’encyclique par la célébration du jubilé et le gain de l’indulgence, n’est plus, dans les pays où le domaine civil est nettement séparé du domaine spirituel, un citoyen complet, entièrement attaché aux institutions fondamentales de sa patrie. S’il y jouit de la liberté de conscience, de la liberté de discussion, de la liberté de la presse, il se servira de ces libertés en les maudissant et en se promettant de retourner contre elles les victoires qu’il pourra leur devoir. Ainsi les fondateurs de la république américaine, qui, en établissant la liberté des cultes dans leur constitution, ont ouvert à la religion catholique un champ où elle a prospéré, ces honnêtes et généreux défenseurs de la liberté civile et religieuse en Angleterre qui, depuis Fox jusqu’à Robert Peel et lord Russell, ont pied à pied renversé les obstacles qui entravaient l’accès de leurs concitoyens catholiques à la libre vie politique anglaise, n’auront travaillé, si le sentiment de la cour de Rome prévaut, que pour d’éternels ingrats. Ceux même qui en France se sont associés aux catholiques dans la fameuse campagne de la liberté de l’enseignement, ceux qui au nom du droit d’association ont protesté contre l’ingérence de l’administration dans les conférences de Saint-Vincent-de-Paul, n’auraient fait, sans le savoir, qu’introduire l’ennemi dans la place. La cour de Rome veut donc que partout les catholiques soient séparés de leurs concitoyens, dévoués à la liberté civile et religieuse par un malentendu latent, par une réticence permanente et par une défiance insurmontable. Nous ne connaissons point dans l’histoire moderne d’acte aussi subversif en politique et aussi dissolvant au point de vue social que cette imprécation par laquelle la papauté semble faire ses adieux au pouvoir temporel. En vérité, est-il possible de placer un tel anathème, dernier cri d’une ambition politique si étrangère aux origines du christianisme, sous l’invocation du pêcheur de Galilée et du grand Paul, qui convertissait le monde en travaillant de ses mains ? Quant à nous, qui n’oublions point tout le bien que font à l’humanité les religions positives, nous ne pouvons voir sans une profonde douleur cette déclaration d’incompatibilité par laquelle le catholicisme romain ne craint point de se séparer du monde moderne. Nous ne pouvons avoir qu’une espérance, c’est que cette imprécation sera impuissante sur ceux à qui elle s’adresse et qu’elle veut entraîner vers un effroyable inconnu.

Notre temps est donc destiné à être l’époque des grands déchiremens. La rupture morale que la papauté signifie au monde moderne est-elle aussi, dans une autre sphère et dans des proportions bien plus vastes, une sécession comme celle qui désole l’autre hémisphère septentrional ? Là du moins continuent à se manifester des symptômes plus rassurans et qui promettent la victoire aux principes de la société moderne. Le congrès américain