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de Saint-Cloud, s’émancipant plus tard jusqu’au masque, jusqu’au déguisement à l’Opéra. « Je me suis dit quelquefois, écrit le féodal marquis de Mirabeau, l’ami des hommes, le père du tribun, je me suis dit que Louis XIV serait un peu étonné, s’il voyait la femme de son arrière-successeur en habit de paysanne et tablier, sans suite ni page, ni personne, courant le palais et les terrasses, demandant au premier polisson de lui donner la main, que celui-ci lui prête seulement jusqu’au bas de l’escalier. Autre temps, autres soins ! » C’est réellement une reine peu convenable ! — Elle est vraie, et c’est là justement ce qui la met en guerre avec l’orthodoxie de cour, avec sa dame d’honneur, Mme de Noailles, depuis la maréchale de Mouchy, personne fort respectable et fort sèche, vouée au culte de toutes les minuties du cérémonial, avec Mme de Marsan, la gouvernante des jeunes sœurs de Louis XVI, portrait de tapisserie antique, figure des premiers temps de Louis XIV, hantant la cour nouvelle, — toutes deux puissantes par leur position, par leurs relations, et devenues bientôt des ennemies avec tout leur monde.

Et ce qu’il y de caractéristique, c’est que Marie-Antoinette, vraie en tout, dans la fierté comme dans les familiarités, n’est pas mieux avec cet autre monde qui s’agite autour de Mme Du Barry ou qui lui survit, qui s’est formé dans cette atmosphère à l’hostilité contre la dauphine et contre la reine. Celui-là, elle le tient à distance et elle s’en détache par un mouvement inné de dignité, par le frémissement du sang de Marie-Thérèse. Elle a pour cette société mêlée et dissolue la répulsion d’une âme saine, cette aisance suprême du mépris qui ne va pas même jusqu’à accabler Mme Du Barry dans sa chute, à la mort de Louis XV, et c’est elle qui a encore le mot le plus juste sur cette pécheresse tombée. « Il parait que si c’était une vilaine femme, ce n’était pas au fond une femme méchante. » Quant à toutes ces galantes personnes du temps qui affichent leurs amours et se parent de leur audacieux libertinage, qui portent quelquefois les plus grands noms, elle les éloigne et en fait des mécontentes, des ennemies moins honnêtes et plus irréconciliables que les dames de l’étiquette, des ennemies qu’elle retrouvera devant elle au moment de la révolution, et qui en attendant se jettent à corps perdu dans cette fronde d’indiscrétions et de chansons contre les échappées de jeunesse, les fantaisies et les légèretés de la reine : de telle sorte que Marie-Antoinette se trouve presque, dès la première heure, enveloppée dans une atmosphère d’inimitiés et de ressentimens.

Dans cette mêlée des passions mondaines précédant le drame des passions populaires, le danger eût été moins grand pour Marie-Antoinette, si elle eût trouvé un appui, une direction sympathique autour d’elle au-dessus de la foule des courtisans. Malheureusement c’est dans la famille royale elle-même que commençait cette traînée