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qui a failli l’emporter. Il n’y a pas à se dissimuler pourtant qu’il triomphe moins par sa propre force que par l’impossibilité d’arriver à autre chose, et que cette situation nouvelle, qui a l’apparence d’un succès politique et personnel pour lui, cache bien des épines, bien des difficultés. En réalité, même après s’être dénouée heureusement, cette crise n’est peut-être pas ce qu’on pourrait appeler une crise de santé ; elle a surtout ce dangereux caractère de laisser voir certaines faiblesses dans le cabinet, des conflits de tendances, une volonté hésitante et paralysée là où l’on s’était plu d’abord à supposer la résolution d’une pensée nette et fixe. La preuve la plus sensible de cet embarras intime, c’est le discours mis dans la bouche de la reine à l’inauguration des chambres, c’est-à-dire après la crise. Ce discours, si bien intentionné qu’il soit, n’est point certainement l’expression d’une politique bien arrêtée. La grande affaire du moment, la question de Saint-Domingue, le discours royal la traite par sous-entendu, en laissant pressentir une loi qui viendra proposer sans doute quelque mesure héroïque. La querelle avec le Pérou est présentée comme pouvant se dénouer par la paix, ce qui mettra sûrement l’Espagne à l’abri d’une grande faute. L’Italie ?… Oh ! pour l’Italie, le gouvernement espagnol aura une opinion quand tout sera fini, et alors il se souviendra de son respect filial pour le saint-siège. Le pape ne pourra qu’être sensible à cette généreuse attention, et l’Italie, qui déjà s’inquiète peu d’être reconnue ou de n’être pas reconnue par l’Espagne, s’en inquiétera vraisemblablement moins encore quand tout sera fini. À l’intérieur, le discours royal laisse voir des intentions plus que des résolutions. Il annonce encore une fois une loi sur la presse et une loi pour garantir l’ordre public. En un mot, on le sent à son allure, le cabinet est incontestablement embarrassé.

Or, s’il veut faire quelque chose aujourd’hui, et il a beaucoup à faire, ce qui lui serait le plus nécessaire avant tout, ce serait une volonté très ferme et le prestige d’une situation entière. Pour proposer, pour faire accepter une mesure de prévoyance supérieure, comme l’abandon de Saint-Domingue, il faut une grande autorité morale que rien ne soit venu affaiblir. Dans les finances, le cabinet Narvaez a tout à faire, mais il ne peut rien faire qu’avec de la sécurité, avec une situation sûre, avec une bonne politique en un mot, et il ne peut y avoir aujourd’hui de bonne et sûre politique que par le libéralisme. Tant que le ministère n’en sera pas là, il en sera aux expédiens qui sont encore maintenant sa seule ressource. Il fera des emprunts plus ou moins détournés à gros intérêts, il se procurera de l’argent dont ceux qui le lui prêtent se paieront par des spéculations. Il arrivera ainsi à suffire au service du semestre de la dette ; mais combien de temps pourra-t-il vivre à l’aide de ces négociations onéreuses nouées tantôt avec les uns, tantôt avec les autres ? Pour réorganiser les finances comme pour régler toutes les questions extérieures et intérieures qui sont aujourd’hui l’embarras de l’Espagne, le ministère Narvaez a besoin évidemment de se retremper en quelque sorte, de s’affermir de nou-