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de musée plutôt que des œuvres d’art. On n’orne ainsi sa maison que par pédanterie ; le bric à brac est un goût de vieillard, c’est le dernier qui ait subsisté en Italie. La littérature morte, on faisait encore des dissertations sur un vase ou sur des monnaies ; parmi les sonnets galans et les phrases d’académie, quand tout effort d’esprit était interdit ou amorti, dans le grand vide du dernier siècle, on gardait, comme au temps de Politien et de Laurent de Médicis, l’ancien goût et la curiosité archéologique. Cette sorte d’emploi détourne l’esprit des grandes questions ; un prince absolu, un cardinal peut le favoriser, occuper ainsi ses heures vides, se donner un air de connaisseur et de Mécène, mériter des épîtres dédicatoires, des frontispices mythologiques et les grands superlatifs italiens et latins.

Un troisième point non moins visible est que notre seigneur antiquaire est Italien, homme du midi. Le climat convie à cette architecture ; beaucoup de constructions, imitées chez nous pendant nos siècles classiques et absurdes sous notre ciel, sont raisonnables ici et partant belles : d’abord les grands portiques à arcades ouvertes ; on n’a pas besoin de fenêtres, même il vaut mieux qu’il n’y en ait pas ; on s’y promène surtout pour prendre le frais. Il convient de plus que tout y soit en marbre ; dans le nord, on y aurait froid par la seule imagination, on penserait involontairement aux tentures, aux paillassons, aux calorifères, aux tapis, à tout l’attirail du bien-être indispensable. Au contraire un duc, un prélat en robe violette, en grande représentation, entouré de ses gentilshommes, est justement ici à l’endroit qu’il lui faut pour causer des affaires d’état ou écouter un sonnet. De temps en temps, dans sa promenade majestueuse, il peut jeter un coup d’œil sur les statues, les bustes des empereurs, faire tout haut à leur sujet le latiniste ou le politique, s’intéresser sincèrement à leur vie et à leurs images par une sorte de parenté et à titre de successeur. Il est encore très bien ici pour recevoir les artistes, patronner les débutans, commander ou examiner des plans d’édifice. S’il entre dans les allées, elles sont assez larges et assez unies pour que sa robe ne s’accroche point et que son cortège s’y déploie. Le jardin et les bâtimens sont excellens pour tenir une cour à ciel ouvert.

Les points de vue, les morceaux de paysages qu’on aperçoit au bout des galeries, encadrés entre les colonnes, sont du même goût. De superbes chênes-lièges lèvent sur une terrasse leurs pilastres monstrueux et le dôme toujours vert de leur feuillage monumental. Des allées de platanes s’allongent et s’enfoncent comme un portique. De hauts cyprès silencieux collent leurs branches noueuses contre leur écorce grise et montent d’un air grave, monotone, en pyramides.