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Des aloès dressent contre la paroi blanche des murailles leur tige étrange, pareille à un serpent convulsif hérissé par la lèpre. Au-delà de l’enceinte, sur les coteaux voisins, un pêle-mêle de constructions et de pins s’élève et descend selon les mouvemens du terrain. À l’horizon ondule la ligne âpre et cassée des montagnes ; une surtout, bleuâtre comme un nuage chargé de pluie, lève son triangle qui bouche un pan du ciel. De là les yeux reviennent sur la suite d’arcades rondes qui forment le portique tournant, sur les balustrades et les statues qui diversifient la crête du toit, sur les colonnes jetées çà et là, sur les rondeurs et les carrés des viviers et des haies. Dans cet encadrement de montagnes, cela fait justement un paysage comme ceux de Pérelle, et correspond à un état d’esprit dont un homme moderne, surtout un homme du nord, n’a aucune idée. Les gens d’aujourd’hui sont plus délicats, moins capables de goûter la peinture, plus capables de goûter la musique ; ceux-ci avaient encore des nerfs rudes et des sens tournés vers le dehors ; ils ne sentaient pas l’âme des objets extérieurs, ils n’en goûtaient que la forme. Les paysages savamment choisis et disposés leur donnaient la même sensation qu’un appartement haut et ample, solidement bâti et bien décoré : cela leur suffisait, ils n’avaient point de conversation avec un arbre.

Au premier étage, du haut du grand balcon de marbre, la montagne qui fait face semble un édifice, une vraie pièce d’architecture. Au-dessous, on voit les dames et les visiteurs se promener dans les compartimens des allées ; donnez-leur des jupes de soie brochée, des habits de velours, des jabots chiffonnés, des tournures plus aisées et plus nobles : voilà la cour qui défilait et vivait oisive sous les yeux et aux frais d’un grand. Il en avait besoin pour prouver à autrui son importance et pour se défendre contre l’ennui ; ce n’est qu’aujourd’hui qu’un homme sait vivre seul ou en famille. Pareillement ce grand salon lambrissé et paré de marbres, orné de colonnes, de bas-reliefs, de grands vases, doré, peint à fresques, est le plus bel endroit pour une réception. Sans beaucoup d’efforts, on peut recomposer devant son imagination la scène entière avec les personnages. Çà et là, en attendant le maître, à propos de tableaux, les amateurs, les abbés regardent et causent. On lève les yeux vers le Parnasse de Mengs, on le compare à celui de Raphaël, on fait ainsi preuve d’éducation et de bon goût, on a évité les conversations dangereuses et on peut s’en aller sans s’être compromis. À côté de là, dans les petits salons, on contemple le superbe bas-relief d’Antinoüs, cette poitrine si forte, ces lèvres viriles, cette apparence de vaillant lutteur, plus loin un admirable cardinal pâle du Dominiquin, et les deux petites bacchanales si vivantes de Jules Romain.