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de la peine, sachant que le fisc ou tel grand, tel coquin bien protégé, m’enlèveront le fruit de ma peine ? Il vaut bien mieux aller au lever du valet de chambre d’un dignitaire ; il m’obtiendra une part au gâteau. « Quand une fille du commun a la protection du bâtard de l’apothicaire d’un cardinal, elle se fait assurer cinq ou six dots à cinq ou six églises, et ne veut plus apprendre ni à coudre ni à filer ; un autre gredin l’épouse par l’appât de cet argent comptant, » et ils vivent sur le commun ; plus tard, entremetteurs, solliciteurs, mendians, ils pécheront leur dîner où ils pourront. La vie noble commence, telle que la décrivent les romans picaresques, non pas seulement à Rome, mais dans toute l’Italie. On tient à déshonneur de travailler et l’on veut faire figure ; on a des gens et on oublie de payer leurs gages ; on dîne d’un navet et on étale un jabot de dentelles ; on prend à crédit chez les marchands et on les éconduit à force de supplications et de mensonges. Les comédies de Goldoni sont pleines de ces personnages bien nés, d’esprit cultivé, demi-escrocs et qui vivent aux dépens d’autrui ; ils se font inviter à la campagne, ils sont toujours gais, égrillards, beaux diseurs, ils savent trop bien tous les jeux, ils font des vers en l’honneur du maître, ils lui donnent des conseils sur ses bâtisses, surtout ils lui empruntent de l’argent et mangent à pleine bouche ; on les appelle « cavaliers des dents ; » bouffons, flatteurs, gloutons, ils embourseraient un coup de pied pour un écu. Les mémoires du temps donnent cent exemples de cette décadence : Carlo Gozzi, revenant de voyage avec un ami, s’arrête un instant à contempler la superbe façade du palais de sa famille. Ils montent un large escalier de marbre et s’étonnent ; il semble que la maison ait été mise au pillage. « Le pavé de la grande salle était entièrement détruit, partout des cavités profondes à se donner des entorses ; les vitres brisées livraient passage à tous les vents ; des tapisseries sales et en lambeaux pendaient aux murailles. Il ne restait plus trace d’une magnifique galerie de tableaux anciens. Je ne retrouvai que deux portraits de mes ancêtres, l’un de Titien, l’autre de Tintoret. » Les femmes engagent, louent ou vendent ce qu’elles peuvent et comme elles peuvent ; quand le besoin prend les gens à la gorge, ils ne raisonnent plus : un jour la belle-sœur de Gozzi vend au charcutier, au poids, une liasse de contrats, de fidéicommis et de titres de propriétés. Ce sont partout les expédiens, les tripotages, les gaîtés du Roman comique. Il faut lire ce polisson de Casanova pour savoir jusqu’où la misère dorée peut descendre. Sans doute, comme tous les drôles, ce sont ses pareils qu’il fréquente ; mais les coquineries françaises ont chez lui un autre tour et d’autres acteurs que les coquineries italiennes. Il salue un comte,