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neveu, cherchait aussitôt à s’emparer du jeune roi, et c’est par son influence que M. de Maurepas était appelé au ministère. Son mobile était la haine de M. de Choiseul, la jalousie à l’égard de la reine, dont l’ascendant pouvait grandir subitement. Elle s’efforçait de réveiller dans l’esprit incertain de Louis XVI tous les souvenirs de son père, le premier dauphin, tous les soupçons qui pouvaient le tenir en défiance vis-à-vis de la reine, protectrice des Choiseul et princesse autrichienne. Les tantes du roi ne tardèrent pas à devenir de véritables ennemies pour Marie-Antoinette, critiquant avec amertume ses moindres actions, ses gaîtés, ses libertés de jeunesse. Un jour Mme Adélaïde en venait à une accusation directe contre la reine, tandis que Mme Louise lui adressait de son côté des conseils injurieux, et même quand les tantes du roi eurent perdu leur influence active du premier moment, elles ne cessaient de poursuivre Marie-Antoinette de leurs rancunes, la représentant comme l’ennemie de la maison de France, comme l’Autrichienne, répétant sans cesse leurs refrains de vieilles filles : « nous serions bien surprises qu’elle pensât comme notre frère ou comme notre père. » C’était là l’appui et la défense que Marie-Antoinette trouvait dans cette partie de la famille royale.

Elle n’est pas bien plus heureuse du côté des frères du roi, quoiqu’elle commence avec eux par la confiance et qu’elle garde longtemps l’illusion, au moins sur l’un d’eux. L’intimité qu’elle essaie de nouer gracieusement entre les trois ménages, comme elle dit, se dissout vite dans les rivalités et les jalousies. Lorsque Marie-Antoinette arrivait en France, elle écrivait gaîment, légèrement, d’un trait qui est resté juste : « M. de Provence, tout jeune qu’il est, est un homme qui se livre très peu et se tient dans sa cravate. Je n’ose pas parler devant lui depuis que je l’ai entendu à un cercle reprendre déjà, pour une petite faute de langue, la pauvre Clotilde, qui ne savait où se cacher. Le comte d’Artois est léger comme un page et s’inquiète moins de la grammaire, ni de quoi que ce soit. » Dans les premiers temps, le comte de Provence subit le charme de sa jeune belle-sœur, et se laisse aller à ce jeu de repas en commun, de petites représentations en famille, où il est le souffleur ; mais il ne tarde pas à se montrer tel qu’il est, un jeune roué sérieux, visant à l’esprit et aux belles-lettres, sec et plein de lui-même, naïvement surpris, selon le mot de M. Feuillet de Conches, que la nature se fût oubliée au point de ne pas le faire naître l’ainé, affectant la supériorité avec son frère le dauphin, une politesse mielleusement perfide avec la dauphine ; il se retire dans sa vanité mécontente et railleuse. L’avènement de Louis XVI, en faisant de Monsieur le premier personnage du royaume après le roi, aggravait