Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

riches teintes noyées du paysage, comme l’oreille passe de la mélodie à l’accompagnement. Les deux sont d’accord, et l’on sent en allant de l’un à l’autre un plaisir qui continue un plaisir du même ordre. Dans son autre tableau, les trois Grâces, lorsqu’on a regardé la première, son beau visage paisible, le diadème d’or semé de perles qui avance jusqu’au milieu de ses cheveux crêpelés, et ces blonds cheveux dont les ondes de soie retombent sur le col jusqu’à la robe, on laisse aller ses yeux vers le magnifique paysage de rochers nus azurés par l’air et la distance, et la poésie de la nature ne fait que compléter celle du corps.

Il y a dix-sept cents tableaux dans cette galerie ; comment en parler ? Comptez tous les musées d’Italie, tous ceux qui sont au-delà des monts, tout ce qui a péri ; ajoutez qu’il n’y a pas de maison particulière un peu aisée qui n’ait quelque vieux tableau. Il en est de la peinture italienne comme de cette sculpture grecque qui jadis accumulait à Rome soixante mille statues. Chacun de ces arts correspond à un moment unique de l’esprit humain ; on pensait alors par des couleurs et par des formes.

Un de ces tableaux reste dans l’esprit, la Chasse de Diane, par le Dominiquin. Ce sont de toutes jeunes filles nues ou demi-nues, rieuses et un peu vulgaires, qui se baignent, qui tirent de l’arc, qui jouent. L’une, couchée sur le dos, a le plus charmant geste d’enfant heureuse et espiègle. Une autre, qui vient de tirer de l’arc, sourit avec une jolie gaîté villageoise. Une petite de quinze ans, au torse plantureux et dru, défait sa dernière sandale. Toutes ces fillettes sont rondes, alertes, gentilles, un peu grisettes et partant fort peu déesses ; mais il y a tant de jeunesse et de naturel dans leurs physionomies et dans leurs allures ! Dominiquin est un peintre original, sincère, tout à fait le contraire du Guide. Parmi les exigences de la mode, des conventions et du parti-pris, il a son sentiment propre, il ose le suivre, revenir à la nature, l’interpréter à sa façon. Les gens de son temps l’en ont puni, il a vécu malheureux et méconnu.

Palais Barberini et Rospigliosi.

Il est agréable de suivre son idée ; je suis allé voir ses autres tableaux : il y en a un au palais Barberini, qui représente Adam et Eve devant Dieu après leur péché. Le peintre s’y montre aussi consciencieux que maladroit ; Adam, avec l’air d’un domestique benêt, s’excuse et montre piteusement Eve, qui montre le serpent avec un soin non moins exagéré. « Ce n’est pas ma faute, c’est elle. » « — Ce n’est pas ma faute, c’est lui. » On voit que l’artiste poursuit l’expression morale, qu’il y insiste avec l’attention scrupuleuse d’une