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encore cette intime hostilité. Dès lors toutes les actions, toutes les paroles du comte de Provence n’étaient qu’une satire habilement calculée de tout ce que faisait ou préférait la reine. Si ce prince spirituel et froid ne pouvait comprendre que son frère fût né le premier, il ne pardonnait à Marie-Antoinette ni son éclat, ni ses vivacités, ni ses succès, ni certains mots au sujet de Mme de Balbi. Son salon devenait un des foyers de cette fronde grandissante contre la reine, et au besoin même il mettait la main aux caricatures, aux méchancetés rimées qui couraient le monde.

Le comte d’Artois,, il est vrai, n’avait ni de ces calculs, ni de ces implacables rancunes. C’était une nature plus ouverte, plus loyale dans sa frivolité, et qui avait plus d’un rapport avec celle de la reine. Tout jeune encore à l’arrivée de la dauphine, le comte d’Artois aimait Marie-Antoinette, qui avait pour lui un goût très vif. Il fut longtemps de moitié dans sa vie de plaisirs. Il était de ses fêtes, de ses réunions intimes, de ses promenades, de ses chasses, de ces belles et féeriques nuits d’été de la terrasse de Versailles, où il ne passait jamais devant un buste de Louis XIV sans dire : « Bonjour, grand-papa ! » Et cependant lui-même, le comte d’Artois, par imprévoyance plus que par méchanceté, aidait à ternir le nom de Marie-Antoinette. Une des plus odieuses accusations a eu pour prétexte un mot venu de lui, et rapporté par le prince de Ligne dans des fragmens de mémoires. Un jour, à Fontainebleau, il y avait eu tout un plan pour briser la liaison de la reine et de Mme de Polignac. Mme de Polignac voulait partir, sa voiture était prête. La reine la presse, la conjure de ne pas partir, se jette à son cou, l’embrasse. « La porte était entr’ouverte, dit le prince de Ligne ; quelqu’un, — ce quelqu’un était le comte d’Artois, — voit ce tableau en entrant. Il se met à rire et sort en disant : Ne vous gênez pas ! et il raconte à tout le monde qu’il a dérangé deux amies. » Et voilà la calomnie sifflant sur un bon mot du comte d’Artois : tête vide et faible, aussi peu faite pour conduire un royaume que pour se conduire elle-même, qui compromettait la reine par ses étourderies encore plus que d’autres par leurs animosités, et qui finit par aller porter sa légèreté auprès de la savante rancune de M. de Provence dans le camp ennemi.

La reine enfin, la reine trouvait-elle du moins dans le roi l’appui et la défense qui lui manquait dans sa nouvelle famille française ? Le malheur a plus fait assurément pour rapprocher et confondre ces deux destinées que n’avaient fait la nature et l’éducation. La nature, qui avait mis en Marie-Antoinette tous les dons brillans de la vie, avait fait Louis XVI simple, sans nul éclat, hésitant, inerte de tempérament et d’esprit. L’éducation que le roi devait a M. de