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comme une armée que comme un monde qui se transportait en Europe. Ces hordes, animées par le fanatisme, marchaient « cheval contre cheval, guerrier contre guerrier. » Pareils à ces sauterelles dévorantes que les vents poussent sur les riches plaines du Danube, les Osmanlis étaient comme un détachement de cette gigantesque armée finno-mongole qui a couvert de ses farouches soldats tout l’est de l’Europe en faisant reculer de plusieurs siècles la civilisation chrétienne. Milosch, après avoir écouté avec le plus grand sang-froid les détails que son probatime lui donne sur les troupes ottomanes, lui demande s’il sait où est la tente du sultan, qu’il se propose de tuer au milieu de sa formidable armée. C’est en vain que son ami l’accuse de folie et lui dit que les ailes mêmes du faucon ne pourraient le soustraire à la fureur des Turcs ; rien n’ébranle la résolution du héros.

Enfin a paru le jour qui doit voir aux prises les Turcs et les chrétiens. Lazare se prépare au martyre par des œuvres de piété. Averti par une lettre de « la mère de Dieu, » que saint Élie lui avait apportée de Jérusalem, qu’il pouvait choisir entre l’empire de ce monde et celui du ciel, et, décidé à choisir l’empire céleste, il avait appelé à Kossovo le patriarche de Serbie « avec douze puissans évêques, » et dressé une tente de soie et d’écarlate pour y recevoir l’eucharistie avec toute l’armée. Quant à Milosch Obilitch, les pesmas ne s’accordent point sur les détails de sa mort. Selon la version la plus répandue, Milosch aurait, dès le matin, quitté sa tente pour se diriger vers le camp des Turcs avec ses deux frères d’adoption. Le sultan, trop habitué à voir la trahison seconder ses desseins, l’aurait admis sans difficulté en sa présence, et Milosoh, après l’avoir poignardé, aurait culbuté les gardes et essayé, mais en vain, de se frayer, ainsi que ses deux compagnons, un passage à travers l’armée musulmane tout entière. D’après une autre version, adoptée par les Turcs, il serait tombé sur le champ de bataille, puis se serait relevé pendant que Mourad vainqueur parcourait le théâtre du combat, et aurait frappé le padishah en feignant de vouloir, comme un suppliant, embrasser son étrier. Le récit le plus généralement accrédité de la bataille de Kossovo peut, à la rigueur, se concilier avec les deux hypothèses.

L’aube matinale commence à blanchir, et les portes de la cité de Krouchévatz s’ouvrent pour laisser passer l’armée des Serbes. La tsarine Militza court aussitôt à l’entrée de la ville. Tout en s’attachant à caractériser énergiquement l’ardeur unanime du patriotisme, le poète n’oublie pas de décrire par quelques traits sobres la physionomie des personnages. Le vieux Youg-Bogdan, « d’ancienne et noble race, » le héros que le tsar Etienne le Puissant faisait asseoir, près de lui, « à sa table d’or, » préoccupé uniquement dans ce péril