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d’eau. Les profondes vallées qu’elles enferment dans leurs flancs sont admirablement plantées et arrosées de nombreuses rivières, qui vont, au nord, se jeter dans le Danube, le fleuve de l’épopée serbe, et dans la Save. limite septentrionale de la principauté. Ces cours d’eau, dont les rives sont encombrées d’arbres et qui ont tous les caractères des rivières de montagnes, deviendraient d’une haute importance pour le commerce, si l’on y exécutait des travaux d’art. D’ailleurs le sol fertile des vallées et des parties basses assure dès à présent à la Serbie le plus précieux de tous les biens, la richesse agricole. Les céréales, le lin, le chanvre, la vigne, le bétail, y prospèrent également. L’abondance de mots que la langue possède pour décrire les diverses espèces et qualités de chevaux prouve le soin dont ce valeureux animal y est l’objet. Dans les vastes forêts, presque toutes composées d’arbres à feuilles caduques, où domine le chêne, on peut élever d’innombrables troupeaux de ces « pourceaux à la dent éclatante » que ne dédaignaient pas les héros d’Homère. Le climat, tempéré et sain, un peu rude seulement sur les hauteurs, n’est pas moins propre que le sol à maintenir la vigueur d’une race énergique et solidement trempée. On se figure trop aisément les Serbes de la principauté comme un peuple perdu, ainsi que leurs frères de la Tsèrnagora, dans de stériles rochers où il aurait, en cas de guerre, à lutter contre la misère et la faim encore plus que contre le glaive de l’ennemi. L’idée qu’on se fait du midi de l’Europe en général fortifie ces préjugés ; mais il ne s’agit point ici de la Provence altérée, des tristes Castilles, des pentes déboisées de l’Apennin, que dévore un soleil implacable. Vous vous trouvez dans une contrée où les arbres à fruit sont si nombreux que les poiriers, surtout dans les parties basses de la principauté, forment des forêts entières. La poésie populaire nous montre les jeunes Serbes apportant à leurs fiancées « des figues de mer, des raisins de Mostar, des oranges, des prunes séchées sur les rameaux verts, des pêches humides de rosée. » Elle nous les montre s’entretenant de leurs amours à l’ombre des amandiers ou « des cerisiers richement couverts de fruits » dans la prairie où abonde « l’herbe fine et verte, » ou dans les jardins plantés de jasmins au doux parfum, « de fleurs printanières, de jaunes œillets, de blanc basilic, » et d’immortelles dont les vierges font des couronnes pour le bien-aimé.

Le peuple, qui habite cette terre féconde et qui en tire un vin généreux, une nourriture substantielle et abondante, a des formes plus robustes qu’élégantes. Le Serbe est plus grand que svelte : sa tête est large et grosse, son front carré et saillant. La solidité de ses nerfs ne lui permet pas de connaître la peur. Sa bravoure étant le résultat de sa constitution même et non point d’une excitation passagère, il n’est guère susceptible de cette férocité que les populations