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cantonne dans les limites étroites du foyer avec autant de soin que l’Anglo-Saxon dans son home. Le Serbe au contraire, — et cette tendance existe chez tous les Slaves non germanisés, — le Serbe aime tellement la vie en commun qu’il sacrifie à ce besoin impérieux des droits que les autres races sont habituées à regarder comme essentiels au maintien de la personnalité et de l’ordre social.

Pour se rendre un compte exact d’un état de choses si éloigné de ce que les Occidentaux ont sous les yeux, il faut pénétrer dans un village de Serbie, car le centre de la famille n’est ni le château, ni le temple, ni la cité, — mais le village. Sans la conquête, il est probable que la vie qu’on y mène serait bien différente : l’aristocratie, que les lois du tsar Douchan nous montrent si puissante, se serait fortifiée comme chez les Slaves de l’ouest et de l’est (Polonais, Tchèques, Russes). En refusant d’imiter l’apostasie égoïste des seigneurs bosniaques, la noblesse serbe se condamna noblement à partager avec le paysan l’humble condition des raïas. Le Slave est naturellement attiré vers l’agriculture, et l’ancien seigneur devint aisément laboureur. L’islam, qui croyait anéantir la Serbie, lui donna au contraire une force et une unité singulières contre l’ennemi commun. Les luttes de castes, qui ont été si funestes à d’autres pays, devinrent, dans le malheur général, complètement impossibles, et la fraternité s’enracina dans des épreuves que tous supportèrent avec le même patriotisme. Sans doute la guerre de l’indépendance fit naître dans l’esprit de plus d’un chef militaire la pensée de reconstituer au profit de quelques-uns l’ancienne aristocratie. Le principe aristocratique étant admis chez leurs voisins, en Bosnie comme en Autriche, ils pouvaient croire que les Serbes se résigneraient volontiers à l’accepter ; mais il devint bientôt évident pour les moins pénétrans que la nation, si indifférente à tout ce qui regardait la liberté politique, avait contracté la passion de l’égalité, et les hommes qui dirigeaient l’insurrection, Milosch aussi bien que Tsèrni-George, n’étaient d’ailleurs nullement disposés à se créer des adversaires avec lesquels il aurait fallu nécessairement compter.

On sait qu’en Serbie le sol de la commune se divise en forêts dont la jouissance est à tous, en champs clos et appartenant à des particuliers, en prairies où chaque paysan a son lot et dont le pâturage reste commun, en ispoute, terrains délaissés, dont tout le monde jouit. Enfin, si un villageois n’a pas assez de terres, il lui suffit pour en obtenir de nouvelles de s’adresser à la commune. Un régime qui fait une aussi grande part à la vie communale ne semble pas suffire encore aux instincts du peuple serbe. Des maisons s’entendent pour travailler ensemble. Aujourd’hui on fait la besogne d’une maison et demain celle de l’autre. Un sentiment vraiment fraternel rapproche aussi souvent que le besoin de vivre ensemble.