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reçues d’une rivale. Sa jalousie éclate en accens qui surprendraient singulièrement une Flamande ou une Genevoise. L’amour n’est dans les pesmas qu’un court et vif printemps, un prélude bruyant à la vie sévère de l’épouse et de la mère, vie étrangère à toute rêverie sentimentale, remplie par ce travail absorbant qui fait justice de toutes les fantaisies de l’imagination et de tous les caprices du cœur, Cette destinée ressemble plutôt à l’existence d’une Anglaise qu’à celle des femmes latines. Fort libre avant son mariage, l’Anglo-Saxonne, une fois mariée, perd si bien le sentiment de sa personnalité qu’un observateur doué d’une malice toute gauloise, Henri Beyle, a pu la comparer au mobilier vivant du harem. En Serbie, il se passe quelque chose d’analogue. Si l’épouse serbe ne joue qu’un rôle excessivement effacé, la jeune fille exprime ses sentimens avec une pétulance et une liberté dignes d’être remarquées. (Une vierge voit du haut du tchardak (belvédère) un adolescent qui joue de la gouslé. « Dieu de bonté, dit-elle, quel charmant jeune homme ! — Si tu me l’accordais pour mari, — je répandrais des œillets sur sa couche, — des roses rouges sur son oreiller, — afin que souvent leur parfum l’éveillât, — et qu’il caressât mon blanc visage. » L’amante de Laso (Lazare) n’exprime pas le vœu de lui appartenir en termes moins accentués : « Si j’avais, ô Laso ! — les trésors du tsar, — je sais bien, ô Laso ! — ce que j’achèterais.— Je m’achèterais, ô Laso ! — un jardinet sur la Sava. — Je sais bien, ô Laso ! — ce que j’y planterais. — J’y planterais, ô Laso ! — hyacinthes et œillets. — Si je possédais, ô Laso ! — du tsar les trésors, — je sais bien, ô Laso ! — ce que j’acquerrais. — J’acquerrais, ô Laso ! — le beau, l’aimable Laso, — et il serait pour moi, ô Laso ! — le jardinier du jardinet. » Une autre voudrait devenir un frais ruisseau, pour courir joyeusement sous la fenêtre de l’ami « de son cœur, » afin qu’il pût étancher sa soif dans ses ondes et baigner sa poitrine dans ses flots. Un jeune homme traverse le soir un village. Deux paysannes l’aperçoivent, et la plus jeune s’émeut à la pensée qu’il n’aura pas d’abri. Elle presse sa mère de lui donner l’hospitalité. « Mais, dit celle-ci, nous n’avons pour cet étranger, qui est peut-être riche et délicat, ni mets précieux pour le repas du soir, ni couche molle pour le sommeil, ni chlivovitza pour le matin. — Mère, invite-le, répond la fille, mes yeux éclatans lui serviront de chlivovitza, mon doux visage de mets succulens, le frais gazon de couche molle, le ciel serein de pavillon, mon bras et mon sein d’oreiller. » La certitude d’être aimé remplit ces âmes primitives d’une joie qui se manifeste de la manière la plus naïve, la plus enthousiaste. Des voyageurs arrivent à une hôtellerie. Un d’entre eux confie son cheval à une charmante jeune fille couronnée de fleurs. « Bel alezan à