Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

titude d’objections redoutables. Parmi ces objections, les unes doivent être résolues, les autres infirmées, d’autres encore écartées. Or ce travail, très complexe dans le détail, se réduit à prouver que Dieu est bon, que le bien domine dans le monde, enfin que l’univers et l’homme sont tellement constitués, que le bien doit indéfiniment s’accroître et le mal indéfiniment diminuer. Soutenir ces trois propositions, c’est être optimiste, et optimiste de la bonne façon, car il y a une façon absurde de l’être. On professe un optimisme absurde, cruel, impitoyable, lorsqu’on se pique de démontrer que tout est toujours pour le mieux, et que tout malheureux est rigoureusement responsable de son propre malheur. Plotin ne s’est pas préservé de cet excès : il a divisé l’humanité en deux classes, les hommes dépravés et les lâches, et il a imputé à ceux-ci, à leur faiblesse, à leur timidité, le succès des méchans, comme si tout opprimé, tout infortuné, toute victime l’était nécessairement par sa faute ! Un autre optimisme moins barbare, mais plus niais, est celui que Voltaire a prêté à son Pangloss dans le roman de Candide. Ni l’un ni l’autre optimisme n’existe pas plus dans Leibniz, que Voltaire croit réfuter, que dans Proclus, dont Leibniz semble avoir eu certains ouvrages sous les yeux lorsqu’il a écrit ses Essais sur la bonté de Dieu et la liberté de l’homme. Le philosophe alexandrin a, pour défendre la Providence contre les objections de ses contemporains, des argumens souvent puisés aux sources stoïciennes, mais par lui renouvelés, et dont quelques-uns sont admirables et victorieux. À cette question souvent posée : « s’il y a une Providence, pourquoi l’homme de bien est-il malheureux, pourquoi au contraire l’homme pervers est-il heureux ? » Proclus n’a garde de répondre que c’est la faute de l’homme de bien. Il cherche à dénouer la difficulté au lieu de la trancher. Il ramène l’idée de providence à celle de justice, et développe avec une habileté profonde et parfois touchante la notion d’équité proportionnelle dans la distribution des biens et des maux. Sans doute il exige que l’ordre général du monde soit respecté avant tout, et on peut lui reprocher de sacrifier çà et là l’individu à la perfection de l’ensemble. Pourtant sa raison ne serait pas satisfaite d’une organisation des choses où la fatalité aveugle courberait les destinées diverses sous le niveau d’une écrasante unité. Il lui faut une Providence à la fois juste comme la géométrie et harmonieuse comme la musique. Le barbare traducteur latin du texte aujourd’hui perdu des Dix doutes sur la Providence n’a pu réussir à éteindre, sous sa phrase pesante et obscure, ni l’éclat de cette pensée, ni le feu de cette conviction. Non, dit Proclus, la Providence n’est pas injuste à l’égard des hommes vertueux : elle leur accorde les biens qu’ils aiment et le moyen d’accroître ces biens précieux. Les richesses, la puissance, les sages n’en ont que