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Au contraire, le dieu de Proclus n’est qu’un être de raison sans réalité, et si l’intelligence, la beauté, la bonté sont affirmées de lui, c’est en dépit de sa nature et en contradiction manifeste avec les procédés qui ont conduit le philosophe alexandrin jusqu’à la conception du premier principe. Au reste, on peut juger de la différence qui sépare l’un et l’autre dieu par les effets bien différens qu’ils produisent sur l’âme et sur l’homme tout entier. Platon et Proclus disent également que le but suprême de la vie est de ressembler à Dieu selon ses forces ; mais autre modèle, autre ressemblance. Le mystique imitateur du dieu de Proclus travaillera donc à engourdir toutes ses énergies, à stupéfier toutes ses facultés, à éteindre en son intelligence tous les rayons, en son cœur toutes les flammes. Au contraire, le platonicien pur, le vrai disciple de l’auteur du Banquet, pour devenir semblable à son modèle éternel, pratiquera tellement la justice, la sainteté et la sagesse, et aimera la beauté suprême d’un si puissant amour, qu’il fera de lui-même le plus parfait, c’est-à-dire le plus vivant des êtres de la terre. Telle est selon nous, depuis longtemps et selon les textes, la véritable signification de la théorie des idées, telles sont la portée de la dialectique et l’incomparable vérité de la théodicée platonicienne. En un mot, la méthode de Proclus est radicalement négative ; la dialectique de Platon est essentiellement positive, et si le procédé fécond du maître ne se substituait sans cesse à l’instrument vicieux et impuissant du disciple, il n’y aurait dans la théologie de Proclus que des cadres vides.

Cette dialectique platonicienne, qui a su communiquer, en dépit de lui-même, un certain éclat, une certaine force à l’alexandrinisme finissant, ne pourrait-elle aussi nous être de quelque secours, à nous chercheurs du XIXe siècle ? Un double danger en ce moment nous menace : d’un côté le matérialisme, qui supprime tout simplement la métaphysique et Dieu ; de l’autre l’abus de l’abstraction, qui réduit tantôt toutes les causes et toutes les substances, tantôt Dieu seul, l’idéal suprême, à l’état d’abstraction logique. Aurions-nous donc perdu le sentiment de la cause agissante ? La faculté de concevoir le Dieu réel, l’infini vivant, serait-elle de notre temps paralysée, comme en ces jours de défaillance où les néoplatoniciens s’appliquaient à la stimuler par les opérations de la théurgie ? S’il en était ainsi, il serait sage d’en revenir bien vite à la dialectique platonicienne en la corrigeant et en la complétant.

Si la dialectique platonicienne est incomplète, qu’y manque-t-il donc ? On l’a dit récemment : il y manque ce que Platon y aurait ajouté, si, au lieu de naître en 429 avant notre ère, il était né depuis Kant et depuis la Critique de la raison pure. Porté sur les ailes de la raison et de l’amour, qui l’élèvent graduellement