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marcher l’une sans l’autre. Chacun assurément a en lui-même la notion du parfait, et le philosophe peut s’appuyer sur cette notion pour prouver à chacun qu’il y a un Dieu. Cependant les intelligences humaines ne marchent pas de front : les esprits vont à la file, et les derniers, ignorans, infirmes ou traînards, sont souvent à une distance énorme des premiers. Avec ceux-ci, usez immédiatement des raisons métaphysiques, rien de mieux ; mais avec les ignorans, et même avec ceux qui n’ont reçu qu’une demi-culture intellectuelle, avant de vous servir de l’idée du parfait ou de l’infini, il est indispensable d’éclaircir cette idée. C’est en quoi consiste la dialectique : par nuances, par gradations, par impulsions ménagées et successives, elle élève les esprits les plus grossiers à ces conceptions dernières qui sont le rayonnement même de l’idée de Dieu. Une fois en présence de ces rayons et inondé de la lumière qu’ils répandent, il faut bien que le disciple ou l’auditeur avoue l’existence d’un astre caché. Ici encore néanmoins un grand art est nécessaire. Il importe de savoir que l’intelligence n’est pas seule en nous à recevoir l’influence et comme l’impression de l’infini. Dès qu’une âme suffisamment préparée a conçu l’idée du parfait, toutes ses énergies en reçoivent un ébranlement extraordinaire, et tendent ensemble d’un mouvement puissant vers l’objet sublime entrevu par la raison. On ne peut qu’indiquer ici ce point, sans y insister ; mais dans l’étude de ces mouvemens religieux de l’âme, psychologiquement analysés, peut-être y a-t-il non-seulement de quoi enrichir la théodicée et la renouveler, mais encore de quoi donner à la preuve de l’existence de Dieu toute sa vertu et toute sa force. Platon, le maître de Proclus, avait ainsi compris la science des choses divines. Dans les Dialogues, à côté de la dialectique de la raison, il y a une dialectique de l’amour. Certains ravissemens des âmes religieuses sont aussi inexplicables sans la puissance d’un attrait divin que l’idée du parfait sans un être parfait qui l’ait imprimée dans la raison. S’il était une fois bien prouvé, — j’entends scientifiquement prouvé par l’observation psychologique, — que l’infini attire l’âme, la réchauffe, l’enlève, de même qu’il l’éclaire, il ne serait plus possible d’identifier cet infini actif et vivant avec une forme vide de l’entendement. Par sa théorie de l’amour, Platon était entré dans cette voie féconde. Ni Plotin ni Proclus ne l’y ont suivi longtemps. Délaissant promptement l’analyse psychologique, ils se sont jetés de côté dans les abstractions. Comment leur dieu-néant aurait-il pu lutter contre le Dieu vivant et aimant du christianisme ? Leur défaite était inévitable. La négation de Dieu ou un dieu abstrait, ne serait-ce pas le mot des philosophies qui meurent et le signal de leur fin prochaine ? Les destinées de l’alexandrinisme dans l’antiquité, celles de l’hé-