Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journée, elle n’est plus déjà qu’une captive surveillée, avilie, placée dans l’alternative de se relever, de s’affranchir par une alliance avec cette révolution qu’elle ne comprend pas, ou d’aller jusqu’au bout de sa dégradation morale et politique. Dans cet affaissement des institutions et des traditions anciennes dont le prestige tombe tout à coup, que reste-t-il ? L’âme d’une femme, de la reine, qui devient la dernière force de la royauté, ou qui décore du moins d’un dernier éclair de vie et de bonne grâce intrépide ce déclin monarchique. Voilà le spectacle qu’offre Marie-Antoinette pendant trois années. C’est la lutte incessante, désespérée, d’une nature généreuse contre les impossibilités qui se resserrent par degrés autour d’elle. Ce n’est plus même seulement la reine disputant sa couronne à ceux qui ne déguisent plus déjà leurs aspirations républicaines ; c’est la femme qui a sa vie à défendre contre les menaces meurtrières, c’est la mère qui a ses enfans à protéger et à sauver dans les jours de péril, ou, pour mieux dire, la reine, la femme et la mère sont indissolublement unies en elle et courent la même fortune, car c’était bien vrai ce que disait Mirabeau, dès 1790, avec une perspicacité profonde et un accent de fierté digne de celle pour qui il parlait : « J’aime à croire que la reine ne voudrait pas de la vie sans la couronne ; mais ce dont je suis bien sûr, c’est qu’elle ne conservera pas sa vie, si elle ne conserve pas sa couronne. »

Ceux qui ont traîné Marie-Antoinette comme une coupable devant le tribunal versatile des haines populaires ou des préjugés vindicatifs des partis, et qui l’ont tuée pour des crimes imaginaires, n’ont rien su de ce qui battait dans ce cœur brisé d’émotions, et ont assurément commis une des plus effroyables iniquités ; ceux qui veulent faire de la reine une héroïne sans faiblesses, une souveraine infaillible, une tête politique nouant de fortes combinaisons, sachant où elle va et ce qu’elle veut, ceux-là aussi, sans nul doute, créent à leur tour un personnage d’imagination. Ce n’est ni une coupable, ni une héroïne sans faiblesses, ni une forte tête politique ; c’est une femme toute de spontanéité et d’instinct, vive et sincère dans ses impressions, réfléchie par nécessité et par effort, une femme qui passe en un instant de l’atmosphère affadie de la vie royale dans le mouvement d’une révolution, qui se trouve jetée dans la politique par le malheur, sans goût, sans expérience et sans illusions, mais qui supplée à tout par la fine et énergique trempe du caractère ; c’est la femme enfin qui entre dans son rôle d’action dès le premier moment, le 6 octobre, en gardant sa sérénité au milieu de la multitude, en rappelant à Bailly qu’il ne répète pas au peuple le mot de confiance balbutié par le roi, et qui, au lendemain de cette navrante crise de la royauté, à peu près captive aux Tuileries,