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écrit à M. de Mercy-Argenteau : « …J’ai vu la mort de près, on s’y fait, monsieur le comte… Je me porte bien, soyez tranquille. En oubliant où nous sommes et comment nous y sommes arrivés, nous devons être contens du mouvement du peuple… J’espère que, si le pain ne manque pas, beaucoup de choses se remettront. Je parle au peuple : milices, poissardes, tous me tendent la main ; je la leur donne… Le peuple ce matin nous demandait de rester. Je leur ai dit de la part du roi, qui était à côté de moi, qu’il dépendait d’eux que nous restions, que nous ne demandions pas mieux, que toute haine devait cesser, que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur. Les plus près m’ont répondu que tout était fini. J’ai dit aux poissardes d’aller répéter tout ce que nous venions de nous dire… » C’est là, pour la reine de France assurément, une singulière entrée dans le tourbillon de la vie publique, et ce n’est pas sans raison que, troublée de tout ce qu’elle voit, de tout ce qui l’enveloppe et l’oppresse, elle avoue avec une ingénuité douloureuse, dans ses premières confidences à M. de Mercy, que son cœur est déchiré et que sa tête s’y perd.

Essayez un instant de fixer cette situation incohérente et mobile au moment où se dresse la formidable énigme de la révolution, où la reine est provoquée à l’action par la plus impérieuse nécessité de défense personnelle, et où chaque heure perdue ne fait qu’ajouter à l’irréparable. Je ne parle pas du dehors, de cet amas d’hostilités, de jalouses défiances, de préventions effarées et apathiques qui irritent la France nouvelle sans dégager la reine, sans lui offrir réellement un secours. C’est à l’intérieur que s’agite le tout-puissant problème et que le drame se complique de mille impossibilités. Du côté du peuple, la haine éclate sous toutes les formes, et c’est ici vraiment qu’on voit fructifier la venimeuse semence des diffamations de tout un règne. Toutes ces accusations, tous ces bruits répandus par la légèreté frondeuse des gens de cour sont allés fermenter dans l’âme populaire et font explosion dans l’effervescence universelle. Ce n’est plus dans les salons dorés et dans les antichambres de Versailles que l’injure est chuchotée perfidement, c’est sur la place publique qu’elle retentit par la voix de la multitude formée au mépris de l’Autrichienne, de celle qui fait passer des millions à son frère l’empereur d’Allemagne, qui gaspille les trésors de l’état pour ses fantaisies, pour ses favoris, qui passe sa vie en galanteries licencieuses ! Ce n’est peut-être pas tout à fait dans le premier instant la disposition du vrai peuple, qu’on voit au contraire prompt à revenir et facilement subjugué dès que la reine se montre et parle ; mais le peuple s’y fait, et l’outrage court les rues, remontant jusqu’au palais, jusqu’au cœur indigné de la souveraine, qui