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à l’étranger, comment fera-t-elle pour le payer ? Elle ne peut se libérer au moyen de la monnaie divisionnaire de la lettre de change, le billet de banque, car cet agent de la circulation intérieure n’a pas cours sur le marché extérieur. Il ne restera donc qu’à envoyer des métaux précieux qui sont reçus partout, et en effet, jusqu’à ce que toute dette soit payée et la balance rétablie, l’or s’écoulera hors du pays. Cette nécessité d’envoyer du numéraire à l’étranger se manifestera par le change, qui deviendra défavorable à l’Angleterre. Rien n’est plus facile à comprendre. L’Angleterre ayant plus importé qu’exporté, le montant des traites sur Londres dépassera le montant de celles que cette place aura émises sur l’étranger. Les premières de ces traites, étant trop nombreuses, seront plus offertes que demandées ; donc elles baisseront de prix. Ainsi une traite de cent livres sterling tirée de Calcutta sur Londres ne se vendra pas l’équivalent de cette somme, il y aura perte ; mais si cette perte dépasse les frais nécessaires pour transporter cent livres sterling en or, il y aura avantage à envoyer de l’or, et c’est ce qu’on fera aussi longtemps que le change, c’est-à-dire la valeur du papier payable à Londres, ne se relèvera pas.

Cet écoulement de l’or, s’il continue, aura de graves conséquences. En effet, nous avons vu que tout le système d’engrenage des instrumens de crédit, billets, chèques, lettres, warrants, viremens, comptes-courans, s’appuyait sur une base métallique réduite au plus strict nécessaire. Si ce fondement solide est entamé, affaibli, tout le mécanisme menace de se détraquer. La crainte seule d’une semblable catastrophe agit sur les esprits et diminue la confiance. Moins de confiance signifie moins de crédit, et moins de crédit se traduit par ralentissement et suspension des échanges, puisque ceux-ci se font au moyen du crédit. En outre l’or qu’on envoie à l’étranger est puisé en grande partie dans l’encaisse de la banque régulatrice, qui est chargée d’en garder un grand approvisionnement à la disposition du public. Il s’ensuit que son encaisse diminue et qu’elle est obligée de réduire ses avances ou de marcher bravement à l’encontre d’une suspension des paiemens en espèces. De toute façon, ces rouages ingénieux, qui manœuvraient si bien en temps calme pour régler les transactions intérieures, s’arrêtent et cessent de rendre leur service accoutumé. Il en résulte alors pour le marché monétaire ou un embarras momentané, ou un trouble profond, ou une véritable crise, suivant la situation des affaires. Si le commerce ne doit pas faire face à trop d’engagemens, il traversera ces momens difficiles sans grands désastres ; mais s’il a beaucoup de versemens à opérer, s’il a beaucoup d’obligations à remplir, si la spéculation a beaucoup acheté à terme, alors il y aura une véritable crise, qui peut causer les plus terribles ravages, comme