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monde des affaires, presque tous les producteurs, tous les commerçans, usant du crédit, ont ainsi des échéances à terme qu’ils espèrent remplir en vendant les marchandises qu’ils auront fabriquées ou qu’ils tiennent en magasin. Si l’argent se raréfie de moitié, ils seront obligés de donner deux fois plus de produits pour se procurer la somme qu’ils se sont engagés à livrer. Ceci montre bien comment la rareté du numéraire poussée à un certain point devient une calamité dans tout pays où le crédit est en usage, et pourquoi la perturbation est d’autant plus désastreuse qu’il y a plus d’opérations à terme, à crédit.

L’étude des crises fait voir manifestement que l’argent, marchandise tarifée et seule éteignant toute dette, n’est pas un produit comme un autre. À Hambourg, en 1857, des négocians possédant des millions de denrées coloniales furent mis en faillite pour des obligations qui s’élevaient à peine à la moitié de leur actif, car ils ne pouvaient s’acquitter envers leurs créanciers avec leurs denrées, et celles-ci ne trouvaient pas d’acheteurs, parce que l’argent avait disparu du marché. En 1825, en Angleterre, on vit vendre à 2 pour 100 de perte des bons de l’échiquier échéant le lendemain. On payait ainsi la prime inouïe de 720 pour 100 d’intérêt par an, afin d’obtenir de l’argent comptant. En France, en 1848, pour avoir 1,000 francs en monnaie d’or, l’on donnait 120 francs de prime, tandis qu’on pouvait, en attendant huit jours, se procurer la même somme à la Monnaie en payant les frais peu élevés du monnayage. Un billet de banque à cours forcé sans nulle valeur intrinsèque sera préféré alors à une valeur double en marchandises ou en traites, parce qu’avec celles-ci on ne peut satisfaire ses engagemens, tandis qu’on le peut au moyen du billet, intermédiaire légal des échanges. Ainsi donc la monnaie a, comme agent tarifé de la circulation, des caractères tout à fait exceptionnels, et la rareté seule de cet agent suffit pour amener les crises.

Maintenant est-on plus fondé à prétendre que l’abondance du numéraire n’a pas d’action sur l’intérêt, et qu’il faudrait dire non le money-market, le marché de la monnaie, mais le marché du capital, c’est-à-dire des produits ? L’étude des faits nous force encore à voir ici une erreur. La remarque mise en avant, que les emprunteurs désirent se procurer, en dernier résultat, des capitaux disponibles, c’est-à-dire des denrées, des produits de toute nature et non de l’or, cette remarque est très exacte ; mais comment se procurera-t-on ces marchandises réparties de tous côtés ? Évidemment en les achetant, et pour les acheter il faut d’abord de la monnaie. Ce que l’emprunteur désire donc en premier lieu, c’est de l’or. Aussi, avant de se présenter sur le marché des produits,