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tard devant le tribunal révolutionnaire qu’il n’avait jamais eu de relations directes avec la cour, qu’il n’était jamais allé au château. On dit en effet que tout se passait par un intermédiaire. Le chevalier de Jarjayes, mari d’une femme de la maison de la reine, recevait les communications de Barnave dans sa poche, où Marie-Antoinette les prenait en mettant ses réponses à la place.

Une chose frappe dans ces rapports secrets qui auraient pu, qui auraient dû être publics pour l’honneur de tous : c’est cette prévention première qui s’élève comme un nuage épais entre des personnes également intéressées à se rapprocher et qui tombe tout à coup dès qu’on se voit. Tant qu’on ne se connaît pas, on dirait qu’il y a un abîme, et sous certains rapports il est bien vrai qu’il y a cet abîme creusé par tout un passé, par des défiances réciproques ; dès qu’on s’est vu, on s’aperçoit bien vite que l’on pourrait s’entendre, on se sent même pris d’un attrait mutuel. Mirabeau subit la fascination de la reine, et Barnave à son tour se laisse aller au même charme. La reine de son côté s’aperçoit que ces tribuns tant redoutés ne sont pas aussi monstres qu’elle l’avait cru. Qui rend les armes dans ces transactions ? quel est le vainqueur, du moment dans ces entrevues ? Est-ce la révolution ou l’ancien régime ? Ni l’un ni l’autre. C’est la force des choses qui amène ces rapprochemens, c’est la fatalité du temps qui les rend inutiles, parce qu’ils se font mal, tardivement, d’une façon décousue, à travers toutes ces contradictions d’idées et de sentimens, dont ils sont le produit et l’image, parce qu’ils ne sont enfin que des expédiens conduisant à d’autres expédiens.

Où est le secret de cette incertitude agitée de la reine, même quand elle semble avoir un plan et rechercher des directions ? C’est que, dans le tourbillon de la politique où elle se trouve entraînée, elle ne cesse point d’être femme, et de toutes les femmes elle est la plus vraie. C’est sa faiblesse peut-être, surtout dans un temps où on n’échappe aux affectations de cour que pour tomber dans les affectations révolutionnaires ; c’est aussi le charme souverain et émouvant de sa nature. Elle est femme par ses mobilités, par ses répugnances, ses découragemens, ses illusions et ses contradictions, par ces effusions de cordialité qui survivent à toutes les épreuves et qui vont chercher au loin ses amis, par cette sensibilité fine et ardente qui se replie devant l’ingratitude et l’abandon autant qu’elle est prompte à s’émouvoir quand elle rencontre des dévouemens inconnus, et sous ce rapport, à n’observer que l’essence des deux caractères, il y a un rapprochement bien plus étrange que celui qui avait lieu le matin du 3 juillet 1790, à Saint-Cloud, entre la reine et Mirabeau : en réalité, ce sont les deux personnages le plus vraiment humains de la révolution. Mirabeau a la toute-puissance de l’humanité,