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parut-elle d’abord assez bien réussir. Plusieurs des généraux de César l’écoutaient volontiers, ceux surtout qui trouvaient qu’en somme ils perdaient moins à rester citoyens d’un état libre qu’à devenir sujets d’Antoine, et les ambitieux subalternes, comme Hirtius et Pansa, qui, après la mort du maître, ne se sentaient pas assez forts pour convoiter la première place et ne voulaient pas cependant se contenter de la seconde. Malheureusement ce n’était encore qu’une réunion de chefs sans soldats, et jamais on n’avait eu plus besoin de soldats qu’en ce moment. Antoine était à Brindes, où il attendait des légions qu’il avait fait venir de la Macédoine. Furieux de la résistance inattendue qu’il avait rencontrée, il annonçait qu’il s’en vengerait par le pillage et le meurtre. On le savait homme à le faire. Chacun croyait voir déjà sa maison saccagée, son champ partagé, sa famille proscrite. La terreur était partout. On tremblait, on se cachait, on fuyait. Les plus intrépides cherchaient de tous les côtés quelqu’un qu’on pût appeler à la défense de la république. Il n’y avait d’aide à espérer que de Decimus Brutus, qui occupait la Gaule cisalpine avec quelques légions, ou de Sextus Pompée, qui réorganisait ses troupes en Sicile ; mais c’étaient des secours douteux, lointains, et la ruine était sûre et prochaine. Au milieu de cet effroi général, le neveu de César, le jeune Octave, que la jalousie d’Antoine et la défiance des républicains avaient jusque-là tenu à l’écart, et qui attendait avec impatience l’occasion de se faire connaître, pensa qu’elle était venue. Il parcourut les environs de Rome, appelant aux armes les vétérans de son oncle qui y étaient établis. Son nom, ses largesses, les promesses dont il était prodigue, lui amenèrent vite des soldats. À Calatia, à Casilinum, en quelques jours il en trouva trois mille. Alors il s’adressa aux chefs du sénat, leur offrit l’appui de ses vétérans, leur demandant pour tout salaire de l’avouer dans les efforts qu’il allait faire pour les sauver. Dans une telle détresse, il n’y avait pas moyen de refuser ce secours sans lequel on périssait, et Cicéron lui-même, qui avait témoigné d’abord quelques défiances, se laissa séduire à la fin par ce jeune homme qui le consultait, le flattait et l’appelait son père. Quand on fut sauvé grâce à lui, quand on vit Antoine, abandonné de plusieurs de ses légions, forcé de quitter Rome, où Octave le tenait en échec, la reconnaissance du sénat fut aussi prodigue que sa frayeur avait été grande. On combla le libérateur de dignités et de complimens. Cicéron l’éleva dans ses éloges bien au-dessus de son oncle ; il l’appela un divin jeune homme suscité par le ciel pour la défense de la patrie ; il se fit le garant de son patriotisme et de sa fidélité : imprudentes paroles que Brutus lui reprocha bien durement, et que l’événement ne devait pas tarder à démentir !

On connaît trop les faits qui suivirent pour que j’aie besoin de