Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les raconter. Jamais Cicéron n’a joué un plus grand rôle politique qu’à ce moment ; jamais il n’a mieux mérité ce nom d’homme d’état que ses ennemis lui refusent. Pendant six mois, il fut l’âme du parti républicain, qui se recomposait à sa voix. « C’est moi, disait-il avec orgueil, qui ai donné le signal de ce réveil, » et il avait raison de le dire. Sa parole sembla rendre quelque patriotisme et quelque énergie à ce peuple indifférent. Il lui fit applaudir encore une fois ces grands mots de patrie et de liberté que le forum allait bientôt ne plus entendre. De Rome, l’ardeur gagna les municipes voisins, et de proche en proche toute l’Italie fut remuée. Ce n’est pourtant pas assez pour lui, et il va chercher plus loin encore des ennemis à Antoine et des défenseurs à la république. Il écrit aux proconsuls des provinces et aux généraux des armées. D’un bout du monde à l’autre, il gronde les tièdes, il flatte les ambitieux, il félicite les énergiques. C’est lui qui pousse Brutus, toujours hésitant, à s’emparer de la Grèce. Il applaudit au coup de main hardi de Cassius qui le rend maître de l’Asie ; il excite Cornificius à chasser d’Afrique les soldats d’Antoine ; il donne du cœur à Decimus Brutus pour résister dans Modène. Les adhésions qu’il sollicite avec tant de passion lui arrivent de tous côtés. Même ceux qui sont des ennemis et des traîtres n’osent pas lui refuser ouvertement leur concours. Lépide et Plancus font des protestations emphatiques de fidélité. Pollion lui écrit d’un ton solennel « qu’il jure d’être l’ennemi de tous les tyrans. » De toutes parts on demande son amitié, on sollicite son appui, on se met sous sa protection. Ses Philippiques, qu’heureusement il n’a pas le temps de refaire, se répandent dans le monde entier à peu près comme il les prononce, et gardant, avec les vivacités du premier jet, la trace des interruptions et des applaudissemens du peuple. Ces improvisations passionnées vont porter partout l’émotion de ces grandes scènes populaires. On les lit dans les provinces, on les dévore dans les armées, et des pays les plus lointains arrive à Cicéron le témoignage de l’admiration qu’elles inspirent. « Votre toge est encore plus heureuse que nos armes, » lui dit un général victorieux. « Chez vous, dit un autre, le consulaire a vaincu le consul. » — « Mes soldats sont à vous, » lui écrit un troisième. On lui rapporte la gloire de tout ce qui arrive d’heureux à la république. C’est lui qu’on félicite et qu’on remercie de tous les succès qu’elle obtient. Le soir où l’on sut à Rome la victoire de Modène, le peuple entier vint le prendre à sa maison, le conduisit en triomphe au Capitole, et voulut entendre de sa bouche le récit de la bataille. « Ce jour, écrit-il à Brutus, m’a payé de toutes mes peines. »

Ce fut le dernier triomphe de la république et de Cicéron. Le