Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quels sont les caractères de la certitude? Or, dans ces recherches, la révélation, qui est la lumière religieuse, la tradition, qui est la méthode religieuse, ne sont pas même comptées : Bacon et Descartes n’ont foi qu’à la raison ou à l’expérience. Enfin, au-dessous et par application des sciences, apparaissent les arts, les métiers, l’industrie, le commerce, en un mot tout un ordre de travaux, d’existences et de transactions dont l’antiquité faisait médiocre estime, et dont regorgent les sociétés modernes. Tout cela est imprévu, et même, jusqu’à un certain point, réprouvé par la loi religieuse. On peut voir dans le Discours sur l’usure de Bossuet ce qu’elle pensait du prêt à intérêt.

Telle est la nouvelle figure du monde; tout y était religieux, tout y est laïque, même la morale. « Le plus grand bienfait du christianisme, dit Turgot, est d’avoir éclairci et propagé la loi naturelle. » Dans cet état de la conscience humaine, la foi religieuse n’est désormais qu’un auxiliaire de la morale; la religion n’y touche que par un côté, celui de la sanction et du culte. Encore faut-il remarquer qu’il est donné à l’esprit de l’homme de concevoir en dehors de toute foi positive aussi bien la sanction que le précepte de la loi morale, aussi bien l’idée de peine et de récompense que celle du devoir. Quant au culte, il ne s’adresse qu’à certaines facultés de l’homme, à l’imagination et aux sens; encore, pour ces facultés mêmes, n’est-il pas toujours un besoin réel, impérieux. « Une religion sans culte, dit M. de Chateaubriand, est le rêve d’un enthousiaste sans imagination; » mais ce rêve n’est-il pas réalité dans presque tous les pays protestans, d’une froideur, d’une nudité de cérémonies religieuses qui en est presque l’absence et la négation ?

Ainsi la religion, après avoir tout enserré, tout expliqué, a laissé tout échapper. Cet événement n’était pas inévitable. Aussi bien que la propriété, aussi bien que l’autorité, la religion pouvait se raffermir et s’éterniser en se transportant sur la base de l’esprit moderne; mais il ne lui plut pas de s’adapter à tant de nouveautés qui naissaient dans le monde, de les comprendre et de s’ordonner par rapport à elles. Elle persista en toutes choses, petites ou grandes, dans une invincible inertie. Où l’on voit toute l’inaptitude, toute la disproportion de l’église avec les temps où nous vivons, c’est dans ce grand sujet de la liberté politique, du droit des peuples. Quoi ! rien là-dessus dans la bouche du prêtre ! Il n’y a donc point de devoirs publics, point de vertus publiques à reconnaître, à encourager? Pourquoi ne pas parler aux hommes de leurs droits, ce qui est une manière implicite de leur enseigner le droit d’autrui, c’est-à-dire le devoir? Et puis véritablement il y a quelque grandeur dans l’idée politique, laquelle n’est pas tout entière un appétit