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une intervention directe et effective, une entrée en France à main armée : c’est un appui moral, la présence d’une force suffisante sur la frontière, pendant que le roi, retiré dans une place forte, négocierait avec la révolution. Enfin Marie-Antoinette reconnaît le fléau, puisqu’elle le limite, puisqu’elle subtilise si curieusement avec sa propre pensée. Si plus tard elle va plus loin, si elle en vient à implorer sans condition, à grands cris, l’intervention étrangère, c’est qu’elle est poussée à bout, et alors même, chose étrange, elle est trahie jusque dans ce dernier espoir, car ces puissances, qu’elle presse de ses supplications, parlent et promettent beaucoup, et agissent peu. Elles sont divisées entre elles. Les unes jalousent la France et songent à profiter du moment dans un intérêt égoïste ; les autres sont occupées ailleurs, elles achèvent de partager la Pologne. Toutes hésitent, comprenant fort peu la crise où l’on est engagé. Même quand elles sont attaquées par la France, elles se défendent mal : elles provoquent la grande explosion nationale au lieu de l’apaiser.

Et c’est ainsi que, par l’assemblage de toutes les fatalités, s’aggrave autour de la reine cette situation où il n’y a plus pour elle ni bonheur ni espoir, où elle écrit avec une douloureuse et fière mélancolie à sa sœur Marie-Christine : « Ne me renvoyez pas mes diamans, qu’en ferais-je ici ? Je ne me pare plus, ma vie est une existence toute nouvelle. Je souffre nuit et jour, je change à vue d’œil, mes beaux jours sont passés, et sans mes pauvres enfans je voudrais être en paix dans une tombe… Ils me tueront, ma chère Christine. Après ma mort, défendez-moi de tout votre cœur. J’ai toujours mérité votre estime et celle des honnêtes personnes de tous les pays. On m’accuse d’horreurs, je n’ai pas besoin de dire que j’en suis innocente, et le roi, par bonheur, me juge en honnête homme. Il sait bien que je n’ai jamais manqué à ce que je devais à lui et à moi-même… » Telle elle apparaît, cette femme, qui selon son langage ne se soutient plus que par les larmes, qui voit la couronne glisser jour par jour de sa tête, en attendant que sa tête elle-même tombe sous le couteau, en présence d’amis glacés d’épouvante, d’un camp d’émigrés qui n’a fait que la compromettre, et d’une Europe inerte, plus près de recevoir des lois que d’en dicter à la France.

Il y a dans cette destinée en effet une heure fatale où tout est visiblement fini, où faute de comprendre la révolution on l’a irritée, et où après l’avoir irritée on reste désarmé devant elle. Dans le camp révolutionnaire, l’exaltation de la fureur va croissant, et la direction des événemens passe aux sicaires ; dans le camp royaliste, il n’y a plus que ce découragement troublé et ces divisions qui sont le signe des causes perdues. Que manque-t-il encore ? Tout au plus