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de somme les enfans et le mobilier, qui se compose d’une ou deux marmites, de couvertures et de tapis. Les femmes marchent à côté tout en filant ; plusieurs d’entre elles portent sur le dos d’énormes pots de terre et de larges chaudrons ; chacune a son paquet. Les hommes, à cheval, ne portent pas autre chose que leur tchibouk et leurs armes ; ils poussent devant eux les troupeaux et courent sur les flancs du convoi. On redescend en même équipage vers la mi-septembre. Rien n’est plus curieux et plus pittoresque que de voir une de ces caravanes traverser un fleuve. Une scène de ce genre, qui s’est offerte à moi dans la Grèce occidentale, n’est jamais sortie de mon souvenir. C’était en Acarnanie, sur les bords de l’Achélous. Les pâtres valaques, population dont la situation en Grèce rappelle à tous égards celle des Kurdes dans l’Haïmaneh, étaient occupés à faire passer leurs troupeaux sur la rive gauche, pour de là les conduire aux pâturages d’été, dans l’Agrapha. Plus d’un millier de chèvres étaient rassemblées et serrées sur la grève, dans une sorte de parc fait de branches sèches ramassées sur le sable. Les femmes, les enfans, les jeunes filles, les petits enfans même, tournaient tout alentour pour les empêcher de fuir, courant au-devant des récalcitrantes et les forçant à rentrer dans l’enceinte. Cependant les bergers, debout au milieu du bétail inquiet et confus, saisissent dans le tas, par la patte ou par les cornes, ce qui leur tombe sous la main, et, malgré la résistance de l’animal, le lancent dans le bac. Ce n’est pas tout d’avoir rempli la barque de chèvres ; il faut les forcer d’y rester. Au moment où on démarre et où le bateau, cédant au courant, commence à s’éloigner de la plage, c’est parmi ces indociles passagers une terreur générale, un élan tumultueux pour s’échapper et regagner la rive. Malgré les efforts des bergers et de leurs femmes, qui rejettent au fond du bateau les révoltés, quelques-uns réussissent, et d’un bond s’en vont retomber sur la grève. Quant à ceux qui sont restés prisonniers, ils semblent se résigner ei restent plus tranquilles ; mais, dès que le bac touche à l’autre bord, impatiens, ils se poussent, ils montent les uns sur les autres, et les bergers ont à peine eu le temps de sauter à terre, que le troupeau est déjà tout entier sur la plage.

Pendant que le bac fait ses voyages d’une rive à l’autre, emportant à chaque fois plus d’une centaine de chèvres, les pâtres amènent une troupe de chevaux, de jumens et de poulains qu’il s’agit de faire passer. Ceux-là peuvent nager ; on ne leur offrira pas le bateau. À coups de gaule, on les conduit jusqu’au bord du fleuve ; mais là ils refusent d’avancer : cette eau trouble et rapide les effraie. Tout le monde alors se met de la partie ; les uns frappent à coups de bâton, les autres lancent des pierres, tous poussent de