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richesse s’accroissant de jour en jour, les rapports se multipliant avec les autres populations orientales, on finira bien, un jour ou l’autre, par sentir le besoin d’acquérir quelque instruction, ne fût-ce qu’au point de vue des affaires et comme moyen de lucre. Une fois éveillé dans un siècle comme le nôtre, l’esprit se rendormira-t-il de si tôt ? N’a-t-on pas le droit de présager avec quelque vraisemblance un heureux avenir à ce peuple de noble et haute race, qui n’a point encore trouvé son heure ni donné sa mesure, mais dont l’énergie native s’est conservée jusqu’ici, à l’abri de toute atteinte, dans une vie de rustique pauvreté et de hardies aventures ?

Souvenons-nous, avant de quitter l’Haïmaneh, de cette vieille forteresse médique ou assyrienne qui en surmonte un des points culminans ; souvenons-nous de ces deux guerriers gigantesques sculptés à côté de la porte et dont la main de pierre s’étend vers l’Occident. Si c’était là, dans la pensée des rudes artistes de ces âges lointains, comme une prise de possession au nom des guerriers de leur race et comme un conseil adressé à leurs descendans de pousser plus loin cette conquête, voici qu’après bien des siècles, pendant lesquels cette terre a si souvent changé de maîtres pour appartenir en dernier lieu à des envahisseurs tartares, l’émigration kurde s’est chargée de dégager la parole et de réaliser le vœu de ces ancêtres dont elle ignore la gloire et jusqu’au nom. De nouveau, comme après les victoires des Mèdes de Cyaxare, comme après celles des Perses de Cyrus, c’est une population d’origine et de langue iraniennes qui occupe le centre de l’Asie-Mineure et qui tend à y dominer ; si nos prévisions ne nous trompent pas, elle y acquerra une prépondérance de plus en plus marquée, et elle concourra, avec les Grecs et les Arméniens, à éliminer peu à peu les Turcs, ou tout au moins à les réduire à une situation inférieure et subordonnée. Ce sera un dernier triomphe du génie indo-européen sur le génie touranien, sur ces Scythes des historiens anciens, sur ces Mongols et ces Tartares des historiens modernes, qui, de quelque nom qu’on les appelle, n’ont guère joué dans l’histoire du genre humain que le rôle d’agens destructeurs chargés de venir, à longs intervalles, renverser les empires caducs, et imprimer au monde un profond et salutaire ébranlement.