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migrations dont il s’est fait, je crois, une foi, passe dans ces êtres vivans, dans ces choses morales qu’il décrit. Il sait, n’en doutez pas, ce que sent et ce que pense un oiseau. Est-il bien certain de n’avoir été jamais un oiseau? Quand il analyse si curieusement, si bizarrement la nature de la femme, son tempérament nerveux et ses crises, ses terribles crises, est-il bien sûr de n’en avoir jamais traversé de semblables? Et de même aujourd’hui le voilà Indien dans l’Inde avec le Ramayana, Persan dans la Perse primitive, Égyptien en Égypte, Hellène dans la Grèce antique. M. Michelet remue tout cela et le fait vivre, prenant dans ses mains une religion comme un oiseau ou comme une jeune mariée dont il analyse les métamorphoses. Quand il s’agit du charmant et brillant monde de l’air, je ne dis pas; M. Michelet aura certainement des pages pleines de grâce qui sembleront presque naturelles. Il interrogera le héron rêveur, et il sera un vrai poète en racontant le drame de la vie du rossignol. Quand il s’agit de la femme, de la touchante blessée, passe encore, quoiqu’il y eût déjà fort à dire : à travers des détails qui ont une fade et écœurante odeur de clinique, l’auteur saura du moins trouver, en compensation des désagrémens qu’il inflige, des observations d’une poétique et ingénieuse délicatesse. Quand il s’agit des religions, c’est-à-dire de ce qui touche au plus profond de l’âme humaine, à la racine des civilisations, le procédé est un peu léger, et on pourrait se demander si M. Michelet n’aurait pas mieux fait d’ajouter à ses poèmes sur les oiseaux, sur les insectes, sur les habitans de la mer, un dernier poème sur une autre classe de créatures vivantes. Il aurait pu y placer ce gracieux portrait de l’éléphant, le « colérique et capricieux » éléphant formé aux convenances et à la vie civilisée par la toute-puissance morale de l’Inde ancienne : « rien n’est plus beau, plus grand pour l’Inde; la victoire fut toute de l’âme. On crut, on dit à l’éléphant qu’il avait été homme, un brahme, un sage, et il en fut touché; il se conduisit comme tel. C’est ce qu’on voit encore. Il a deux serviteurs qui sont chargés de l’avertir de ses devoirs, de le rappeler (s’il s’écartait) dans la voie de la convenance, de la gravité brahmanique : sur son cou, le cornac qui le dirige et lui gratte l’oreille, le gouverne surtout par la parole et l’enseignement; l’autre, serviteur à pied, marchant tout près, d’une voix soutenue, avec mêmes égards, lui inculque aussi sa leçon... » Depuis, « on a fort ravalé l’éléphant; » mais M. Michelet, en allant étudier sa physionomie rêveuse au Jardin des Plantes, n’a pu manquer de deviner que l’intéressant animal, le « mont vivant, » comme il l’appelle, devait songer aux temps où, sur les bords du Gange, il « se replongeait à la grande âme et s’en incarnait un rayon. »

Il ne faut pas demander si en entreprenant ce nouveau voyage