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cution pour la justice!... » L’auteur de la Bible de l’humanité a un malheur : quand il en vient à cette époque chrétienne, il ne sait plus guère où il en est après avoir traversé l’Inde, la Perse et la Grèce; tout tourne et danse devant son esprit. Le christianisme lui apparaît tantôt comme « un vent doux, » tantôt comme un « effet de blonde lune où se mêle un reflet affaibli du couchant, » tantôt comme une religion de femme. Il vous dira que la condition messianique pour une femme, c’est « d’être âgée, jusque-là stérile.» Le plus clair, c’est que M. Michelet est un homme d’imagination, qui joue avec les religions comme avec les oiseaux, el à qui ne suffisent pas les lacs de Galilée, ces petits lacs qu’il boirait d’un coup.

Il a soif, il halète, suivant son langage, quand il approche de cette « sèche Judée, » de « ce paysage de cendre, » où l’humanité à tort voit son centre. Le christianisme, chose stérile, a profonde pauvreté et définitive impuissance ! » C’est la mort de la nature par la victoire de la grâce, c’est la grande éclipse de l’humanité, le commencement de la décadence. Voilà le moyen âge qui arrive et qui passe comme le feu, laissant une contrée nue et désolée! Que de siècles en vain! M. Michelet reste tout rougissant d’une telle stérilité. Par hasard, on retrouvera bien sur ce chemin des siècles ceci et cela, mais si peu! « Quoi, si peu pour mille ans!... Mille ans! mille ans, vous dis-je, et pour cette société de tant de peuples et de royaumes!... » M. Michelet a l’effroi rétrospectif de cette fameuse millième année où tout devait périr, et il ne semble pas bien convaincu encore que le monde n’ait pas fini vers cette époque. Pour moi, je crois que la fantaisie a d’immenses privilèges, mais que c’est vraiment beaucoup pour elle de mettre ainsi mille ans dans une boutade et de se reposer en croyant avoir enseveli sous une pincée de cendre l’Europe chrétienne. M. Michelet fait entrer ici fort légèrement en quelques pages, en quelques traits, ce qu’il déroule dans plusieurs volumes de son histoire. Il n’a plus pour le moyen âge les tendresses qu’il avait autrefois; il le fuit avec un véritable effroi, comme s’il sentait encore l’ombre de cette époque s’étendre sur notre tête. C’est l’effroi assez peu scientifique d’une imagination qui perd le sens des grandes réalités du passé et qui prend ses visions pour les lois mêmes de l’histoire. Il n’y aurait peut-être aucune présomption à rassurer cet esprit charmant et trop impressionnable sur le danger d’une résurrection possible du moyen âge dans son ensemble. Le moyen âge est mort définitivement, mort dans sa pensée, dans ses institutions, et tout ce qui s’agite autour de nous ne nous prépare guère à le voir renaître.

Ce n’est plus qu’une période de l’histoire évanouie pour jamais, — et jugé historiquement dans ses œuvres, dans ses agitations, dans ses lois, dans ses arts, dans toutes ses manifestations, le moyen