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âge n’apparaîtrait pas assurément avec ce caractère d’irrémédiable stérilité qui met si bizarrement M. Michelet hors de lui. Il apparaîtrait comme une époque de formation puissante et confuse où le christianisme, au lieu de communiquer la mort, donne la vie, et n’est que la forte discipline sous laquelle se recompose et se coordonne un monde tombé en dissolution. Si vous voulez dire que c’est là le passé et que nous vivons dans le présent, que nous marchons vers l’avenir, un avenir inconnu pour nous, comme il l’a été pour ceux qui nous ont précédés, il n’est point tout à fait nécessaire de recourir à de si fantasques images. Ce n’est pas une raison pour que, nouveaux venus d’hier, plus heureux sans doute et plus favorisés, nous allions renier nos ancêtres qui ont été à la peine, qui ont porté le poids d’un âge plus difficile, pour que nous rabaissions la grandeur de l’inspiration qui en fit des hommes nouveaux. M. Michelet, je le veux bien, cherche la véritable vie et la vraie loi de la civilisation humaine dans les religions plus anciennes, cala lueur des Vêdas, au matin de la Perse, sous le soleil de l’Egypte, sous le ciel gracieux de la Grèce. C’est un caprice de littérature. Historiquement et moralement il n’y a qu’un malheur : une époque et une religion se jugent aussi à leurs fruits. Que sont devenues ces religions où M. Michelet découvre mille beautés fécondes dont il se fait le pontife retardataire? qu’ont-elles fait de ces contrées qu’elles ont remplies de leur esprit? Qu’est-il sorti au contraire du moyen âge, de ce temps de désolation et de mort, de ces mille ans de stérilité? Rien, peu de chose, — tout simplement les sociétés modernes qui au seuil de cette époque se sont trouvées assez viriles pour faire un pas de plus, pour entrer à marches forcées dans une voie de civilisation où tout s’agrandit et se renouvelle, où le progrès de la veille conduit au progrès du lendemain. Est-ce donc que M. Michelet a vu le christianisme banni de ce monde?

Ce n’est point en vérité chose aussi facile qu’on semble le penser de déraciner du cœur d’une civilisation ce qui est son essence et sa force. M. Michelet y emploiera son imagination pétulante et crispée. Il appellera le christianisme le moyen âge, ou il lui donnera toute sorte de noms disgracieux. Il fera une Bible de l’humanité pour remplacer l’Évangile, et même il découvrira le divin Ramayana. Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, il a peu de chance d’assister à la victoire de la loi nouvelle dont il se fait l’apôtre de fantaisie, parce que la loi ancienne n’est pas épuisée, parce que cette loi, tombée du haut d’une croix, trouve chaque jour encore son active et féconde application, parce que tout ce qu’il y a de vivace dans le monde moderne vient de là, émane de cette source. Ce que M. Michelet appelle le progrès n’est, à tout prendre, qu’un archaïsme assez mêlé et passablement équivoque, une exhumation de