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travail soit toujours mesuré sur les forces, et qu’il n’absorbe pas la journée entière au point de ne rien laisser pour l’étude. Le travail, et même le travail manuel, est souvent un plaisir; il est aussi, reconnaissons-le, dans beaucoup de cas une peine. Il faut s’y plier dès l’enfance, pour qu’il ne paraisse pas trop lourd à l’âge mûr. Il faut apprendre à aimer ce rude compagnon, qui compense la fatigue du corps par la sécurité, la dignité, la bonne conscience. La vie est un ensemble de peines et de plaisirs, où les peines ont la plus grande part. A la longue, le bon travailleur sent naître et se développer en soi une force qui le protège contre la peine : c’est la conviction d’avoir virilement employé son temps, et d’être prêt à aller généreusement, simplement, jusqu’au bout, sans défaillir. S’il se mêle à cela quelque sentiment plus doux, une amitié fidèle, un devoir patriotique accompli, on doit remercier Dieu à l’heure de la mort. Ce monde n’est qu’un grand atelier où nous sommes tous ouvriers, chacun à notre place, et l’enfant qu’il faut plaindre est celui qui n’apprend pas dès le premier jour qu’il a une tâche à remplir, tâche petite ou grande, obscure ou glorieuse, mais pénible à coup sûr, puisqu’il est homme.

On aura donc toujours besoin d’une loi sur l’apprentissage, même quand notre système d’instruction primaire aura été complété par la création de l’instruction professionnelle, et il ne peut pas être question, pour des esprits sérieux, de supprimer la loi de 1851, mais seulement de la compléter. Une première remarque à faire sur cette loi, c’est qu’on en profite très peu. Cela prouverait peut-être qu’elle n’est pas suffisamment pratique. Voici à cet égard des chiffres significatifs, empruntés à la dernière enquête de la chambre de commerce de Paris, publiée en 1864. On a recensé dans les ateliers de Paris 25,540 enfans au-dessous de seize ans, savoir 19,059 garçons et 6,481 filles. Sur ce nombre, 5,798 enfans, dont un peu plus de 200 filles, sont employés comme ouvriers auxiliaires, c’est-à-dire qu’on achète leurs bras pour un salaire, sans leur donner avec ce salaire aucune instruction professionnelle. Ces enfans, devenus adultes, ne pourront donc utiliser que ce qui leur restera de force ; ils n’y joindront aucune aptitude acquise, et se trouveront réduits à la condition de journaliers et de manœuvres, la pire de toutes les conditions aujourd’hui que la force mécanique tend à remplacer partout la force humaine. Sur les 19,752 apprentis des deux sexes qui travaillent dans les ateliers de Paris, 10,487 garçons et 4,732 filles sont engagés sans contrat. Il n’y a donc en tout que 3,674 garçons et 849 filles, soit 4,523 enfans sur un total de 25,540, qui aient profité des stipulations de la loi de 1851.

Doit-on croire qu’un certain nombre d’enfans, sans être réguliè-