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tout le contraire, puisque les enfans n’y apprennent rien. Le patron, avec un ou deux ouvriers, prend douze ou quinze apprentis qu’il transforme assez promptement en habiles spécialistes; il n’accepte qu’un seul genre de commande; grâce à cette industrie, il a la main-d’œuvre pour rien, et fait à bon marché la besogne de dix-huit personnes. Sans doute un atelier n’est pas un lieu mystérieux où nul ne pénètre; des spéculations de cette nature ne peuvent se faire à huis clos; les fabricans ou les cliens qui donnent de l’ouvrage, les compagnons qui travaillent dans l’atelier, et les apprentis eux-mêmes sont bien vite édifiés sur cette malhonnête exploitation. Le père, quand il vient conduire son fils le premier jour, est averti de ce qui l’attend, rien qu’en jetant les yeux autour de lui. Il devrait se dire, sans même aller plus loin dans ces réflexions, que la même personne ne peut pas montrer le métier à six enfans; mais, que ce soit ou non la faute du père, la faute est commise, puisque les ateliers sont pleins, et qui en souffre? C’est l’enfant d’abord, qui n’apprend rien, et ensuite c’est le pays, qui n’a plus que des ouvriers mal préparés et médiocres.

Bien des raisons excusent ou du moins peuvent expliquer la faute du père. Il n’est pas facile de trouver un apprenti ou un maitre. Il n’y a rien d’organisé à cet égard, pas de publicité, pas de bureaux de renseignemens et de placement. On prend ce qu’on trouve. Un ouvrier est toujours à court de temps, parce qu’il ne faut pas perdre sa journée. Il connaît son état, et ne connaît guère les autres. Il ne sait qui consulter pour bien choisir. Un jour il s’aperçoit que ses forces diminuent, que ses dettes augmentent et que son fils est devenu grand. Il s’informe autour de lui des places vacantes. Il s’estime heureux s’il en trouve une à propos, et la retient pour profiter de l’occasion. A Paris, les solides et sérieuses maisons sont assez rares. Le chaland est obligé de chercher le bon marché, et le fabricant, pour le contenter, sacrifie tout à l’apparence. Dans l’ébénisterie, dans la joaillerie, dans l’article Paris, dans la confection, il s’agit avant tout de sauver le premier coup d’œil. Les apprentis jouent un grand rôle dans cette fabrication éphémère. On est coulant sur les conditions, parce qu’on ne saurait se passer d’eux, et les parens, de leur côté, se laissent allécher par cette grande et merveilleuse raison de sans dot. Sous prétexte d’apprendre à leurs enfans un métier, on ne leur apprend que l’art d’éluder l’article 423 du code pénal. Dans ce genre d’industrie, les marchands vendent de tout, et les fabricans ne fabriquent qu’un objet unique : deux effets contraires produits par la même cause. La bijouterie, par exemple, se divise aujourd’hui en une foule de professions différentes. Un ouvrier ne fait que des chaînes ou des épingles; un autre ne fait que des doublés ou des ouvrans. Un autre