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du niveau marin divers travaux de l’homme, des pavés, des mosaïques, des sarcophages. D’ailleurs des sondages artésiens opérés dans le delta du Pô à de grandes profondeurs au-dessous de la mer n’ont ramené que des alluvions fluviatiles, ce qui établit d’une manière indubitable le fait d’une dépression graduelle du sol. La terre que va chercher la sonde au fond du puits artésien était jadis au-dessus du niveau de la mer.

Soit que toute l’Europe centrale participe au mouvement de dépression subi par les bords de l’Adriatique, soit qu’il s’agisse d’un phénomène local, les côtes méridionales de la Manche et de la Mer du Nord s’affaissent aussi, bien qu’avec une excessive lenteur. Sur le littoral de Bretagne, de Normandie, de nombreuses forêts englouties et des édifices assiégés par les eaux de marée prouvent que le sol a baissé pendant la période actuelle. Il paraît toutefois que diverses ondulations semblables à celles de la côte de Syrie se sont produites sur ces rivages, car en plusieurs endroits on a découvert des plages de sable et de coquilles modernes à une hauteur de 12 et de 15 mètres au-dessus du niveau de la mer. À une époque reculée et néanmoins déjà contemporaine de l’homme, la vallée de la Somme s’élevait aussi ; mais depuis des milliers d’années elle s’affaisse lentement, puisque des forêts sous-marines bordent le littoral et que les tourbières d’Abbeville, dont le fond est situé en contrebas de la baie de Somme, n’offrent d’autres débris que les restes d’animaux et de végétaux vivant sur terre ou dans les eaux douces ; lorsque les mousses des tourbes ont commencé de croître, le sol de la vallée devait donc être plus élevé que la surface des mers voisines.

Dans les Flandres et la Hollande, les phénomènes d’affaissement ont été sinon plus considérables, du moins bien plus importans par leurs résultats, à cause du niveau très bas que présentent ces contrées relativement à la mer. La simple énumération des catastrophes successives amenées par cette dépression graduelle constitue une histoire terrible. Pendant le cours du IIIe siècle, nous dit la tradition, l’île de Walcheren est séparée du continent ; en 860, le Rhin se déplace, inonde les campagnes ; le château de Caligula (arx britannica) reste au milieu des flots. Vers le milieu du XIIe siècle, la mer fait une nouvelle irruption, et le lac Flevo se change en un golfe pour s’élargir encore en 1225 et former le Zuyderzée. En 1231, les lacs de Harlem commencent à perler sur le sol, qui s’affaisse, puis, grossissant peu à peu, se réunissent les uns aux autres, et vers le milieu du XVIIe siècle s’étalent en une mer intérieure. En 1277 et 1421, deux autres golfes, le Dollart et le Biesbosch, se creusent dans l’épaisseur du continent, et noient les paysans par milliers. De nos jours, les polders endigués s’affaissent d’une manière