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L’Opéra-Comique est avec la Comédie-Française le seul théâtre qui possède aujourd’hui un répertoire. Il a son passé, chose considérable et qui oblige. Beaucoup de gens, nous le savons, se moquent de la tradition, et pourtant que serait-on sans elle dans les lettres, dans les arts, dans le monde? La tradition, le convenu, tâchons au contraire de n’en point parler à la légère; car en somme qu’est cela, sinon ce qu’à travers les générations les meilleurs esprits, les plus judicieux, se sont accordés à respecter? De Grétry et de Monsigny à M. Ambroise Thomas, à M. Grisar, du Tableau parlant et du Déserteur à la Double Échelle, à Gilles ravisseur, combien d’années, de révolutions! N’importe, l’idée n’a point menti à son origine. Prenons maintenant le genre par son plus grand aspect, allons de Joseph à Zampa, et nous reconnaîtrons ici encore le témoignage d’une transmission particulière, une sorte de constitution héréditaire qui fait qu’en dehors même des signes du temps la parenté se manifeste. Qu’après cela ce genre, par son caractère essentiellement mixte, complexe, prête à la critique, je n’en disconviens pas. Telle pièce agréable va réussir avec une musique médiocre, tandis qu’on a vu d’excellente musique tomber faute d’un bon poème. Qui ne se souvient des Chaperons blancs, un des chefs-d’œuvre de M. Auber, ainsi condamné sans appel? Faudra-t-il que dans un théâtre de musique la fortune du libretto exerce de la sorte une influence de vie et de mort sur une partition? Le cas n’est que trop vrai, et je le regrette tout en étant forcé de reconnaître que sans ces conditions l’Opéra-Comique ne serait pas ce qu’il est. Au musicien de prendre ses mesures, de s’arranger de manière à composer sur un sujet intéressant, en un mot de mettre de son côté cette force qui en Allemagne, en Italie, peut rester neutre, mais qui chez nous, en France, quand elle n’est pas pour lui est contre lui.

L’empereur Nicolas disait : « Je comprends l’absolutisme, je comprends même la république, mais j’avoue que je ne comprends pas le gouvernement constitutionnel. » Les gens qui n’aiment point l’opéra-comique parlent ainsi. — Nous comprenons l’opéra, disent-ils, le drame, nous comprendrions même au besoin la tragédie, à la condition qu’on ne nous y ferait pas aller; mais que voulez-vous que nous pensions d’un genre bâtard qui entre la parole et le chant n’a jamais su prendre un parti, de telle façon que la musique a l’air d’y venir à contre-temps interrompre le dialogue, lequel à son tour ne reparaît que comme un trouble-fête? Qu’on nous parle en prose, en vers, en musique, nous le voulons bien ; mais si nous admettons la fiction, que ce soit une fois pour toutes, et qu’on n’y vienne pas à chaque instant déroger. Voilà une action qui s’engage, des personnages dont la conversation commence à vous intéresser; tout à coup le chef d’orchestre frappe avec l’archet sur son pupitre, et les violons, les flûtes et les clarinettes d’intervenir le plus sottement du monde. Ces personnages-là parlaient raison, et maintenant ils ne se possèdent plus ; il a suffi d’une ri-