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jusqu’à la chute de l’ancien gouvernement breton, qui suivit en 1283 la mort de David, dernier prince de Galles. Cette seconde époque a sur la première le mérite d’une authenticité qui défie toute discussion, et à ses débuts du moins elle surpasse encore en antiquité tout ce qui a été écrit dans les langues modernes de l’Europe, à l’exception de l’Islande. La lyre welshe avait trois cordes, — la religion, la guerre et la nature. Mieux encore que les montagnes de la vieille Cambrie et que le bouclier d’Owain Gwynedd, l’institution des bardes servit de rempart sacré à l’indépendance nationale. La tradition veut que ces bardes aient encouru la disgrâce des prêtres catholiques à cause de la liberté de leurs doctrines et de la vénération qu’ils professaient pour les maximes religieuses des anciens druides, leurs premiers maîtres. Toujours est-il qu’ils furent défendus contre l’influence du clergé par la faveur et la protection des princes welshes. L’un de ces derniers, Grafydd ap Cynan, vers le commencement du XIIe siècle, renouvela par des règlemens l’ordre des bardes et des ménétriers. Son poète favori était Meilyr, qui a laissé une élégie sur la mort de ce prince, ainsi qu’une pièce de vers touchante intitulée le Lit de mort[1]. Les chefs bretons avaient bien compris que ces chantres divins étaient les véritables soutiens du patriotisme; eux seuls ranimaient les courages. N’a-t-on pas lieu toutefois de s’étonner du silence gardé par les bardes lors des dernières catastrophes qui ont assombri l’histoire de la principauté de Galles? Il n’existe qu’une seule élégie pour consacrer la mémoire de Llyvelyn, traîtreusement égorgé à Buallt en 1282. Avec cet événement semble avoir péri non-seulement la nationalité welshe, mais aussi le vieil esprit de résistance à l’invasion saxonne. L’âme d’un peuple reste comme ensevelie sous cet obscur monument de l’un des derniers bardes bretons. Les conquérans, on l’a vu, respectèrent du moins la langue des vaincus et encouragèrent même la littérature à se relever. Depuis ce temps, le pays de Galles présente l’exemple assez rare d’une race qui, tout en ayant renoncé à se gouverner elle-même, vit fièrement enveloppée dans les traditions du passé comme dans une armure. Ce qu’on appelle encore aujourd’hui dans les eisteddfodau la nationalité welshe se compose uniquement de poésie et de fictions; ne ressemble-t-elle point ainsi à ces ombres d’Ossian qui chassaient et combattaient dans des brouillards? La littérature welshe n’en a pas moins continué depuis la conquête à s’enrichir de nouveaux écrivains. Il suffira de nommer parmi les vivans David Owen, qui sous le pseudonyme de « Brutus » publie un recueil inti-

  1. On peut voir l’original et la traduction de ce poème dans le Cambrian Register, t. Ier, p. 405. sous le titre de the Death Red.