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étaient, pour ainsi dire, incrustés dans un fit de boue épaisse et de cailloux.

Ces torrens qui descendent des collines n’ont pas toujours, il est vrai, le même caractère de violence. Ce sont d’ordinaire des ruisseaux à l’onde pure et froide, comme tout ce qui vient des hauteurs. Ils alimentent dans les vallées de belles rivières peu profondes qui semblent avoir été faites pour réfléchir le ciel, pour donner une âme au paysage ou pour tomber en gracieuses cascades du front des rochers. L’industrie du fer a encore changé tout cela : elle force ces ruisseaux paresseux à travailler, elle les emprisonne dans des canaux, leur fait tourner des roues ou broyer les minerais, et les condamne à traîner tristement leurs ondes souillées vers la mer. Les fées bretonnes ont dû en gémir, et je ne m’étonne plus qu’elles aient abandonné pour jamais ces fraîches retraites dont on a troublé l’eau, abattu les bosquets et foulé aux pieds les fleurs sauvages.

Merthyr Tydvil ressemble à ces villes qu’on voit en rêve, et qui s’évanouissent dès qu’on veut y entrer. De loin elle s’accuse vigoureusement par un épais nuage de fumée; y est-on, on la cherche en quelque sorte sans la trouver. Ses rangées de maisons vagabondes, assemblées sans ordre et sans symétrie, se perdent à chaque instant dans la campagne. Il y a pourtant une grande rue, commençant au chemin de fer et finissant on ne sait où, qui s’enfle et se rétrécit tour à tour, comme un serpent aux abois, sans jamais aboutir à un centre. Le secret de ce désordre est que Merthyr n’était encore, à la fin du dernier siècle, qu’un obscur village. Il avait poussé par hasard dans une large vallée, et c’est par hasard aussi qu’il s’est accru jusqu’à devenir, comme on dit, la capitale du fer. Des rues nouvelles se sont embranchées aux anciennes sans autre but que de fournir des logemens aux ouvriers des usines. C’est ici du reste qu’il faut étudier l’influence de l’industrie métallurgique sur la fortune des villes. Des vieillards se souviennent encore à Merthyr du temps où l’arrivée d’un colporteur à cheval, avec des ballots de marchandises, bagman, mettait en fuite toute la population, qui le prenait pour un officier du roi chargé d’enrôler par force les habitans (press-gang). Aujourd’hui quelle différence! La ville possède beaucoup de grands magasins qui n’auraient besoin que d’être mieux entourés pour faire grande figure, et quant aux bagmen, ils ne sont, hélas! que trop nombreux, bourdonnant autour de la bourse de l’ouvrier comme les frelons autour des grappes mûres. Commerce, population, numéraire, tout a centuplé, et qui a produit ces résultats ? Le fer.

J’étais descendu à l’hôtel du Castle, dont l’enseigne fait allusion