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à une haute antiquité. Les jeunes filles, d’autant plus déguenillées qu’elles sont plus à la fleur de l’âge, s’arrêtent, rient et parlent entre elles une langue inintelligible qui ajoute encore au mystère de cette race infortunée. Tout le monde est si pauvre qu’on ne rencontre point de mendians : qui leur donnerait? Les chiens eux-mêmes, maigres, ébouriffés, flairant tous les coins, parcourent la ville avec des airs affamés. Tant de misères, et nous sommes pourtant ici à la source des richesses! Si je consulte les statistiques, j’apprends que cette paroisse est une des plus abondantes de toute la Grande-Bretagne en produits métalliques; les millions en sortent sous la forme de minerai de fer et de diamant noir (charbon de terre). L’industrie, religion des temps modernes, aurait-elle donc ses martyrs, comme l’indique le nom même de la ville[1]? Il faut pourtant se défier de cette première impression et attendre le témoignage des faits.

Mais quelles sont ces ombres qui s’avancent là-bas dans un flot de brouillard et au milieu d’une foule recueillie? C’est un enterrement. Des parapluies massifs de toutes les couleurs, quoique le plus souvent bleus, forment autour du noir cercueil un groupe étrange. Comme toutes les anciennes races, les Celtes du pays de Galles professent un grand respect pour les morts. Quatre ou cinq cents personnes suivent généralement le défunt à sa dernière demeure. Dans quelques paroisses au sud du pays de Galles, les cimetières ressemblent à une fiancée parée pour le jour des noces. Durant la semaine qui précède les fêtes de Pâques ou de la Pentecôte, on arrache les mauvaises herbes, on fait la toilette du terrain, on y plante des fleurs nouvelles et des arbrisseaux. Parmi ces fleurs, on n’admet que celles qui ont une odeur agréable. Les roses blanches s’épanouissent sur la tombe des vierges, tandis que les roses rouges indiquent des personnes qui se sont distinguées par leur bienfaisance et par leurs vertus sociales. Ce langage des fleurs appliqué aux morts n’a-t-il point quelque chose de touchant? Arracher les plantes d’un cimetière est regardé comme un sacrilège. Un ami, un parent peut bien cueillir une fleur par hasard et l’attacher à sa boutonnière comme un souvenir, mais il doit respecter la tige. Les tombes elles-mêmes sont au moins une fois l’an blan-

  1. Merthyr vient en effet de martyr. Dans les anciens temps, c’est-à-dire vers le Ve siècle, une princesse chrétienne et bretonne nommée Tydvil ou Tudfyl, fille de Brychan, prince de Brecon, se rendait de temps en temps à un ermitage près de la rivière Taff, où son père s’était retiré dans ses vieux jours pour se livrer à des exercices de dévotion. Ils étaient à prier, lorsqu’une bande de Saxons se jeta sur eux et massacra Tydvil avec trois de ses frères. Une source située dans le voisinage et appelée Tydvil’s Well passe pour l’endroit où le meurtre a été commis.