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dans les lettres de Calame avec quelle ardeur il court, malgré l’extrême délicatesse de sa santé, à la recherche de ces beautés nouvelles, avec quel enthousiasme il les rencontre et les décrit, ou bien quels pieux efforts il lui faut faire pour se résigner, le cas échéant, à l’inaction. « Pendant l’orage, écrivait-il dans une de ses courses à la Handeck, ces montagnes sont d’une sauvagerie effrayante, laissant apercevoir par momens des abîmes sans fond, des sapins suspendus sur le vide, les uns déracinés par la tempête, les autres pleins de vie encore et de vigueur, mais frappés de la foudre et déjà inclinés au-dessus de ces profondeurs que l’œil ne peut sonder. Ce spectacle m’émeut, il me transporte; la passion me vient de m’approprier toutes ces belles choses, mais, après avoir tenté un travail fiévreux, je me trouve n’avoir exprimé qu’une pâle image de cette sublime et saisissante nature. La faiblesse de l’homme me surprend, et je me demande s’il lui est donc impossible de scruter ces mystérieuses beautés. » Une autre fois, ce n’est pas la difficulté même du travail qui préoccupe et tourmente l’artiste, c’est l’impossibilité absolue de travailler, c’est l’oisiveté à laquelle le condamnent le mauvais temps et la maladie. — « Toujours la pluie! Je sens le dépit m’arriver au galop, et, malgré toute ma philosophie, je ne parviens à le maîtriser qu’imparfaitement... Depuis trois jours, le soleil avait reparu, mais j’ai dû gémir dans un mauvais lit; l’air âpre de la montagne m’oblige à descendre dans la plaine. Ah ! n’oublions pas que nous sommes sous la main de Dieu et qu’il dispose de nous selon sa sainte volonté ! » Que le ciel vienne à s’éclaircir toutefois, et que les souffrances physiques diminuent un peu, Calame oubliera bien vite ses mécomptes de la veille, et il écrira, à la fin d’une journée consacrée à un « voyage de reconnaissance » au Mont-Pilate : « Ici la nature est merveilleusement belle, depuis ces pics gigantesques perdus dans les nues, dont on aperçoit de tous côtés une étendue immense, jusqu’à ces riches pâturages tout mouchetés de vaches, de moutons, qui ressemblent, dans les bas-fonds où ils circulent, à des grains de sable doués de mouvement... Je suis amoureux de cette scène magnifique; mon cœur déborde d’admiration. L’air est si léger que je sens ma tête se dégager; je suis à une hauteur de deux mille six cents pieds, je me sens de l’appétit, le baromètre monte, et je suis tout plein d’espoir. »

Au retour de chacun de ces voyages à la vérité, il fallait que le courageux artiste expiât par quelques semaines de repos forcé ses excès récens de travail et de fatigue ; il fallait qu’il allât demander à des eaux thermales la vigueur nécessaire pour mettre en œuvre les documens recueillis. Qu’importe? Il possédait maintenant ces documens, il s’était approvisionné d’études, de souvenirs, il avait enfin le plus précieux et le plus difficile : avec la volonté, avec la