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adressait de toutes parts[1], les toiles qui sortaient de son atelier pour aller directement prendre place dans des collections privées ne rencontraient ni une admiration moins fidèle ni des suffrages moins empressés.

La Vue du Mont-Rose que nous venons de rappeler mérite d’être citée parmi les œuvres les plus remarquables de Calame tant à cause de l’importance de la donnée primitive qu’en raison des modifications apportées à celle-ci dans les divers exemplaires qui la reproduisent. Bien que les cinq Vues du Mont-Rose présentent à peu près la même ordonnance générale, et que la chaîne de montagnes occupant l’horizon se dessine dans chacun de ces tableaux sans variantes considérables, les différences sont essentielles entre les détails qui garnissent les premiers plans, entre les élémens de composition successivement choisis pour mettre en relief par le contraste les formes rudes ou tourmentées qui se dressent au fond de la scène. Afin d’accuser d’autant mieux les lignes aiguës de ces pics s’élançant à perte de vue vers le ciel, afin d’accentuer l’aspect sinistre de ces masses travaillées par des forces mystérieuses, Calame s’est attaché, avec un surcroît d’application, à définir dans le sens de la grâce les intentions épisodiques, à mesure que les répétitions du tableau de Neufchâtel se multipliaient sous son pinceau. Tantôt des pentes couvertes de gentianes en fleur s’arrondissent sur les devans, où s’épanouissent d’autres richesses, d’autres témoignages de la vie faits pour consoler le regard des images d’aridité et de mort qui s’étagent jusqu’aux glaciers et aux cimes neigeuses; tantôt de vertes prairies s’étendent au pied des roches d’où la terre végétale a glissé comme pour venger sa fécondité inutile et pour porter les germes qu’elle recèle dans des lieux dignes de les voir éclore. Il y a dans la fermeté et la délicatesse avec lesquelles ces oppositions sont ménagées et rendues les preuves d’une vive intelligence des conditions poétiques inhérentes au sujet. Quant à la peinture proprement dite, si elle offre encore ici quelque chose de cette exiguïté dans la pratique qu’on doit reprocher à l’Orage à la Handeck, elle atteste du moins une expérience plus sûre, un sentiment plus souple du coloris, et malgré l’insuffisance de l’art, même le plus habile, en face de pareils thèmes, les diverses compositions que le Mont-Rose a inspirées à Calame justifient la renommée de celui qui les a conçues.

Parmi les ouvrages successivement envoyés à Paris par Calame,

  1. La première idée de ce tableau avait été suggérée à Calame par son ami Rodolphe Töpffer. Il exécuta d’abord en petit, pour M. le professeur Auguste de La Rive, la scène qu’il développa ensuite sur la toile que possède le musée de Neufchâtel. Deux répétitions du Mont-Rose appartiennent, l’une à M. Schletter à Leipzig, l’autre à M. Kunkler du Vallon. Une autre répétition du même paysage se trouve aujourd’hui en Hollande.