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qu’après avoir annulé la fureur et les effets destructeurs de la colonne comprimante. L’observateur est étonné que cette masse d’eau se comporte aussi pacifiquement. La première fois que j’ai vu fonctionner le système, je n’étais pas sans inquiétude. L’esprit obsédé du principe que toute force vive est le produit du calorique, je posai la main avec crainte sur la paroi cylindrique, songeant à la chaleur qu’allait développer cette pulsation puissante qui produit d’un coup une force théorique de plusieurs chevaux ; mais, à ma grande surprise, la main était parfaitement à l’aise, le thermomètre appliqué contre le tube ne marquait pas au-delà de 35 degrés : la théorie se trouvait en défaut.

Le système, il faut le dire, ne s’est pas toujours comporté aussi pacifiquement. Dans les premiers temps de son installation aux Alpes, il se produisit des chocs violens, des ruptures effrayantes qui auraient déconcerté un inventeur d’une autre trempe que M. Sommeiller. Un jour, la colonne d’eau, faisant tout à coup irruption à travers son enveloppe de fer déchirée comme un papier mouillé, lança des jets irrésistibles qui noyèrent le vaste édifice des compresseurs et épouvantèrent les ouvriers, encore peu habitués au gouvernement de ces étranges engins. Un autre jour, pendant que cinq compresseurs travaillaient à la fois, les deux grands tubes en cuivre qui conduisent l’air comprimé dans les récipiens se rompirent subitement avec le fracas d’une explosion de mine. Ces accidens, qui du reste n’eurent aucune conséquence fâcheuse pour la vie des ouvriers, n’abattirent point le courage et la confiance de l’inventeur. Il n’avait pu tout prévoir, car il restera toujours hors de la portée de la science une somme de coefficiens qui ne se peuvent additionner ni prévoir, et qui ne se révèlent qu’à la pratique. Sur plusieurs points, la pratique a été pour M. Sommeiller un meilleur maître que la théorie. Il a profité et il profite chaque jour des leçons d’un tel maître. Par l’expérience, il est arrivé à régler le jeu des soupapes d’admission et de vidange dont le désordre avait causé ces accidens; par l’expérience, il a gouverné l’impétueux mouvement de la colonne d’eau de telle sorte qu’il en a transformé la chute en une pulsation inoffensive pour l’appareil.

L’air comprimé envoyé dans son récipient y est maintenu à la pression constante de 6 atmosphères par le poids d’une autre colonne d’eau qui pèse exactement 6 atmosphères. L’eau et l’air se font équilibre dans la création : Dieu a tout créé par ordre, poids et mesure, selon la belle expression de la Bible; mais que l’air vienne à prendre une plus grande tension, il faudra que l’eau soit plus élevée pour lui faire équilibre. La science, qui scrute toute chose, a trouvé le degré d’élévation qu’il fallait donner à l’eau pour chaque