Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adorations, recommencèrent de plus belle, au son des cloches, des crécelles, des « os de serpent, » des gongs, des cornets à bouquin, et de tout ce qui constitue un orchestre nègre. Une seule page sur vingt de celles que M. Burton consacre à l’exhibition des misérables oripeaux dont se compose en Dahomey le garde-meuble de la couronne, donnerait le vertige à nos lecteurs : vases de bronze ou de cuivre, voire de faïence, sculptures argentées (jouant le rôle de vaisselle plate), jarres pleines de pitto[1], parasols bariolés, bannières aux couleurs criardes surmontées de crânes humains, boucliers, équipages royaux (y compris le fameux brougham-cabriolet et l’antique berline verte du roi Gezo), bref une friperie fantastique, un bric-à-brac insensé dont il est impossible de bien rendre le caractère hybride, la splendeur déguenillée, le tapage discordant, la pompe grotesque !

M. Burton y prêtait naturellement moins d’attention qu’aux détails purement militaires de chaque cérémonie. Ces détails lui servaient à se faire une idée de la double armée du Dahomey, sur laquelle tant de bruits fabuleux circulaient encore tout récemment. D’après ses calculs, basés sur les observations personnelles les plus minutieuses, il faudrait rabattre considérablement des évaluations fournies par les derniers voyageurs français. Le malheureux Jules Gérard, dans sa lettre au duc de Wellington (18 août 1864), faisait figurer douze mille amazones parmi les troupes réunies pour soumettre Abbeokuta. M. Vallon (1855-58) portait leur nombre à cinq mille. L’agent de lord John Russell, tous comptes faits, ne croit pas qu’on en puisse mettre sur pied plus de deux mille cinq cents. Il évalue à quinze mille hommes ou femmes le corps d’armée qu’il vit défiler hors des murs de Kana au début de la campagne qui devait porter un coup mortel au prestige de la puissance dahomienne, « ceci, ajoute-t-il, en comptant les pillards mal armés qui se joignent spontanément à des expéditions de ce genre, et n’emportent guère qu’une corde pour charger leur butin. Au bout d’une semaine de marche, un corps pareil est réduit à huit mille hommes, à neuf tout au plus, ce qui concorde avec les estimations des officiers anglais qui ont visité, après la sortie des troupes, les camps dahomiens formés pour l’expédition d’Ishagga en 1862, pour celle d’igbarra (1863), enfin pour celle d’Abbeokuta (1864). » Notre compatriote M. Vallon juge au contraire l’armée du Dahomey « assez forte pour lutter avec avantage, sur son terrain même, avec des troupes disciplinées, exténuées par de longues marches, affaiblies par le climat et dépourvues d’artillerie. » Nous ne pouvons que

  1. Bière du pays extraite du riz et du millet.