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vulgaire était le patois napolitain, qu’on ne parlait pas seulement dans la rue, mais dans le monde et même à la cour. L’école de Puoti tenta de rattacher Naples à l’Italie. Une poignée de jeunes gens qu’une passion purement littéraire entraînait vers Dante, Boccace, Pétrarque, l’Arioste, le Tasse, Machiavel, Guichardin, devaient tôt ou tard arriver à cette conclusion, qu’un pareil ensemble de grands esprits n’appartenait pas à telle province et à tel clocher, mais à la patrie tout entière, et que cette patrie, existant déjà depuis tant de siècles dans leur pensée et dans leur œuvre, devait vivre un jour d’une vie réelle et prendre sa place au milieu des nations. C’est ainsi qu’une classe de grammaire commença moralement la révolution italienne.

Puoti n’était pas le seul à rompre des lances en faveur de la buona lingua contre les gallicismes et le jargon napolitain, il n’était même pas le premier : déjà le marquis de Montrone, qui avait parcouru l’Italie et séjourné à Bologne, s’était entouré de jeunes gens, entre autres de Baldacchini et Ranieri, qui étudiaient sérieusement avec lui le toscan des meilleurs siècles. Par malheur, les affaires de 1820 avaient arrêté ce premier effort. Baldacchini et Ranieri durent voyager et rejoindre dans l’exil d’ardens amis de la cause vaincue, Gabriele Pepe, connu par son duel avec M. de Lamartine, l’historien Pietro Colletta, les Poerio, etc. La plupart de ces émigrés se rencontrèrent à Florence, excellente école de langue et de pensée nationale. Tous y prirent une façon de parler et de sentir qui n’était pas celle de leur province. D’autres Italiens proscrits se trouvaient alors en Toscane ; Tommaseo y faisait ses premières armes, Leopardi, le grand et malheureux poète, y chantait la patrie morte et Nérine, « son éternel soupir. » L’un des premiers, sinon le premier prosateur du temps, Pietro Giordani, y régnait sur la langue et sur le style. Enfin les Florentins eux-mêmes, Gian-Battista Niccolini, Gino Capponi, Cosimo Ridolfi, Lambruschini, se réunissaient avec les émigrés dans un cercle littéraire devenu bientôt une véritable académie, celui de Jean-Pierre Vieusseux. Toute l’Italie future était là.

Quand après 1830 les Napolitains proscrits revinrent à Naples, ils y trouvèrent l’école de Puoti toute fondée, c’est-à-dire leur propre ouvrage déjà entrepris, un noyau de jeunes gens déjà préparés à recevoir l’idée italienne. Cette école transformée se fractionna bientôt pour étendre son champ d’action : les principaux élèves, professeurs à leur tour, développèrent, en le modifiant et en le corrigeant, l’enseignement grammatical de leur maître : ce fut l’œuvre de MM. Leopoldo Rodinò, Bruto Fabbricatore, Emmanuele Rocco. Quelques autres, disciples ou amis de Puoti, tâchèrent de traiter en bon style des sujets de critique, d’histoire, d’archéologie et de morale. On doit citer parmi ceux-ci les deux frères Dalbono et les trois