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disciple de Tracy et de Cabanis, il donnait une assez bonne exposition de la Critique de la Saison pure. Après 1830, malgré ses antécédent libéraux de 1820, Galluppi obtint à Naples la chaire officielle de philosophie. Il fit connaître à ses élèves les premiers Fragmens de M. Cousin ; il les publia même en italien, non sans les réfuter un peu, dans une introduction contre le spinozisme. Il rendit par là au philosophe français le même service qu’il avait rendu autrefois au philosophe de Kœnigsberg : M. Cousin fut un moment l’écrivain le plus populaire de Naples. La jeunesse se jeta avec avidité sur les Fragmens, qui lui révélaient pour la première fois les lointaines évolutions de la pensée allemande. Aussi demandait-elle à cor et à cris les nouveaux ouvrages du révélateur ; mais l’administration faisait bonne garde, et grâce à ses précautions le cours d’Histoire de la philosophie de 1827 ne parvint qu’en 1838 à Naples, où l’on étudiait l’Allemagne à travers la France. Quand parurent les premières traductions françaises de Fichte et de Schelling, elles furent dévorées ; bientôt pourtant ces versions ne suffirent pas à la curiosité des jeunes Napolitains, ils apprirent l’allemand, ils lurent Hegel dans le texte original. Ainsi, avant 1848, Ferdinand II régnant, il y eut dans son royaume une école hégélienne[1], et ces études n’étaient pas seulement le souci de quelques heures par semaine, c’était la vie de chaque jour. Après la séance levée, la leçon se continuait dans des promenades et des causeries familières entre le maître et l’écolier, prolongées quelquefois bien avant dans la nuit. L’ancien Caffè d’Italia, qui perdit plus tard ce nom dangereux et devint le Caffè delle Belle Arti, formait une succursale de l’université, presque une académie. Les philosophes s’y entretenaient avec une assiduité qui inquiéta le gouvernement. Le ministre de la police, M. del Carretto, envoya pour surveiller ces réunions un de ses agens les plus habiles. Aussitôt reconnu, l’agent fut surveillé lui-même et dérouté de mille façons ; on ne parla devant lui que l’hégélien, langue encore plus difficile que le basque. L’auditeur était tout oreilles, il suait à grosses gouttes et ne comprenait pas. Il finit par quitter la place, et peu de temps après les philosophes à leur

  1. C’est dans ce camp hégélien que parurent d’abord quelques hommes qui devaient combattre plus tard sur un autre terrain, M. Silvio Spaventa par exemple. M. Bertrando Spaventa, son frère, arrivant des Abruzzes avec la passion réfléchie qui distingue les habitans de ces provinces, donna ses premières leçons vers 1845. M. Tari entra des premiers par ses travaux d’esthétique dans les idées nouvelles ; M. Stefano Cusani, enlevé en 1846 par une mort prématurée, les répandit dans ses leçons avec une singulière originalité de vues ; M. de Meis (aujourd’hui professeur à Bologne) les proclama hardiment dans ses leçons de médecine, et M. Stanislao Gatti dans ses Pensées sur les arts. Enfin l’un des plus regrettables représentans de cette jeunesse napolitaine, M, Gianbattista Ajello, hégélien déclaré, eut le temps, dans sa courte vie, de dérouler publiquement toute l’encyclopédie de son maître.