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ans après, en 1845. Nombre d’hommes éminens, de libres penseurs, accoururent à Naples ; ce qu’ils y firent, on peut le deviner. Ostensiblement on s’occupait d’archéologie ou d’histoire naturelle sous la présidence du ministre Santangelo ; mais le véritable congrès s’assemblait le soir chez l’un ou chez l’autre, et on conspirait. Rien de politique dans les réunions officielles ; on y débattait des questions de science pure avec un sérieux qu’il n’est donné qu’aux Italiens de savoir garder. Une seule fois l’un des membres du congrès, M. Orioli, osa dire dans une séance publique : « Espérons que Jupiter retiendra ses foudres et les réservera pour le salut de l’Italie ! » Ce mot fut une double maladresse : il effraya le pouvoir, qui se repentit de sa tolérance, et il indisposa les patriotes, qui ne voulaient rien attendre de Jupiter.

Le premier résultat du congrès de 1845 fut de jeter tous les hommes éclairés dans la politique d’action. Aux conspirateurs ordinaires, déjà commandés par le baron Carlo Poerio, se joignirent bientôt les esprits les plus cultivés et les plus distingués de Naples. La presse clandestine redoubla d’activité ; des feuilles volantes, sortant l’on ne sait d’où, bourdonnaient chaque jour dans la ville entière. C’est alors que Luigi Settembrini, esprit très fin, caractère antique, osa publier sa fameuse « protestation du peuple des Deux-Siciles, » écrit mordant qui flétrissait toutes les iniquités du pouvoir. Cependant les Napolitains, malgré le travail des grammairiens, des poètes, des historiens, des philosophes, malgré le congrès italien, qui était venu donner une direction commune à leurs aspirations confuses, n’étaient pas mûrs encore pour la grande idée de 1860, pour la liberté dans l’unité. Ils devaient passer d’abord par les fautes de 1848, si cruellement expiées. En 1846, les conspirateurs de Naples erraient au hasard, sans boussole et se fiant aux étoiles. Ils savaient ce qu’ils ne voulaient pas, ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient. Ils espéraient une Italie forte et libre, mais ne s’entendaient ni sur les moyens de la conquérir, ni sur les moyens de la constituer. Monarchistes, républicains, constitutionnels ou révolutionnaires, ils discutaient le style de l’édifice avant d’avoir un terrain où l’élever et des matériaux pour le bâtir ; ils faisaient enfin de la question italienne une question politique au lieu d’en faire une question nationale, et loin de réunir toutes leurs forces pour affranchir la patrie, ils les épuisaient en querelles inutiles sur la meilleure forme de gouvernement. L’avènement de Pie IX vint mettre un terme à ces incertitudes. Dès qu’on vit un pape débuter par une amnistie, on crut que le Vatican allait se changer en Capitole. L’idée néo-guelfe triompha même à Naples ; on se mit à rêver pour l’Italie une confédération de trônes constitutionnels sous la présidence