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du midi, ne se doutait pas que celle-ci produisit des penseurs, et des poètes. Nous avons pu constater plus d’une fois chez des Piémontais, des Lombards, même des Toscans, cette absence de notions exactes sur les littérateurs napolitains. Les renseignemens que nous leur donnions en réponse à leurs questions étaient reçus avec une extrême surprise et quelque défiance, car ils venaient d’un étranger, et on croyait les provinces méridionales frappées de la stérilité du désert. Aujourd’hui que les barrières sont tombées, les œuvres des Napolitains se répandent, se publient même dans les villes du centre et du nord[1]. Dès la révolution, nombre de volumes improvisés ou de manuscrits jusque-là prudemment cachés virent le jour. Un moine du Mont-Cassin, qui s’était précédemment distingué par d’intéressans travaux historiques, le père Tosti, a profité l’un des premiers des franchises nouvelles. Il a publié en 1861 son livre capital, les Prolégomènes de l’histoire de l’Église, œuvre d’un patriote et d’un croyant, qui regrette le temps où Rome marchait, et qui voudrait bien qu’elle marchât toujours. C’est aussi depuis la révolution que le professeur de Blasiis a écrit son intéressant ouvrage sur Pietro della Vigna, où est exactement résumé le mouvement politique et littéraire du XIIIe siècle. M. Salvatore de Renzi, déjà connu par son histoire de la médecine en Italie, donnait également une étude importante sur Jean de Procida, il Secolo XIII e Giovanni da Procida, glorification du terrible conspirateur des vêpres siciliennes, un peu effacé dans le livre célèbre de M. Michèle Amari. Les poètes, comme les historiens, ont pris part au mouvement nouveau, qui, en favorisant l’étude des littératures étrangères, est venu élargir leur horizon. La liberté de la scène n’a pas encore produit de Shakspeare, mais elle a permis aux Napolitains d’admirer les drames du tragique anglais : on joue maintenant Hamlet, Othello, Macbeth, même le Faust de Goethe, dans les théâtres où la censure ne laissait représenter autrefois que des imitations expurgées des vaudevilles de M. Scribe ; on y joue même des pièces grecques et les ingénieuses restaurations de Ménandre (Fasma, il Tesoro, etc.) si heureusement opérées par M. Dall’ Ongaro[2]. On sait qu’en 1855 Ferdinand II avait interdit aux artistes napolitains

  1. C’est ainsi qu’un livre très récent, qui a fait quelque bruit même en France, les mémoires d’Enrichetta Caracciolo, religieuse bénédictine, tristes révélations sur les mystères des couvens, a paru chez l’éditeur Barbera de Florence. Un imprimeur de la même ville, M. Lemonnier, a donné les touchantes poésies d’une pauvre et noble fille, Giannina Milli, l’improvisatrice abruzzaise. Les trois volumes de Ranieri (son roman de Ginevra, son Histoire d’Italie et son Frate Rocco, remarquable étude morale) viennent d’être imprimés à Milan.
  2. Les deux meilleures troupes de comédiens qui existent en Italie, celle de Salvini et celle de Majeroni, se sont fixées à Naples.