Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1040

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très vite au pouvoir : il fut en 1861 ministre de l’instruction publique. Il voulût alors que la science allemande régnât dans l’université de son pays. Elle y règne en effet, même dans l’école de médecine et dans l’école de droit, mais surtout dans l’école de philosophie, et, comme on l’a déjà remarqué, c’est un spectacle singulier que cette revanche de l’Allemagne rentrant par la science dans le pays d’où elle venait d’être chassée par les armes.

Hegel, un peu maltraité depuis sa mort, même dans son pays, méconnu, tiraillé en tous sens, débordé ou diminué par ses disciples qui lui tournaient le dos ou le perdaient de vue en suivant l’un ou l’autre des grands chemins qu’il avait ouverts, trouva donc un refuge à l’université de Naples. Le dernier des hégéliens purs, M. Vera, plus Français qu’Italien, traducteur obstiné de son maître, et poursuivant sa tâche ardue avec une persistance de courage et de volonté qui lui fait honneur, fut appelé à Naples, où il monta dans une chaire privilégiée : il devint en quelque sorte le philosophé officiel ; mais il eut peu de succès. L’histoire de la philosophie, comprise et traitée d’une façon un peu leste et hautaine, dissertation plutôt qu’enseignement, élaguant tout ce qui n’entrait pas dans le courant de ses idées, déconcerta les étudians, qui n’attendaient rien de pareil. D’ailleurs l’audace philosophique eut moins d’attrait dès qu’elle fut sans danger. Hegel, n’étant plus le fruit défendu, sembla quelque peu lourd et indigeste. De plus c’était une importation étrangère qui choquait l’italianisme de quelques jeunes patriotes. Enfin les maîtres enseignans privés, qui, n’ayant pu fournir leurs titres, avaient perdu leur gagne-pain, provoquèrent des tumultes au nom de Gioberti destitué. Deux petites émeutes éclatèrent en 1861 ; la première fut un soulèvement d’étudians qui sifflèrent leurs maîtres en criant à la fois : A bas de Sanctis ! à bas Hegel ! à bas le pape-roi ! Le ministre et le philosophe étaient injuriés, comme on voit, en pieuse compagnie. La seconde émeute fut plus grave, elle vint du dehors. Excitée par un prêtre, la populace, armée de pierres et de couteaux, même de pistolets, se rua sur l’université, dont elle envahit les salles. Il y eut des vitres cassées, du sang versé. La garde nationale dut intervenir. On était encore en révolution, et l’on se permettait quelques vivacités de polémique. Le prêtre fut mis en prison ; on lui conseilla de ne plus faire de philosophie en chaire, et on l’acquitta. Depuis lors, l’université est tranquille.

Au reste, les hégéliens de l’ancien régime étaient revenus eux-mêmes de leur aveugle adoration. Ceux qui ont passé par ces idées savent fort bien qu’elles ne restent pas toutes dans l’esprit enchaînées indissolublement l’une à l’autre. On en garde la force, la souplesse que donne une gymnastique laborieuse, l’admiration que laisse