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toujours un édifice immense construit d’une main savante et hardie : on en garde aussi une indépendance et une largeur de jugement que ne révoltent plus les témérités de l’intelligence ; mais l’enthousiasme tombe et s’éteint. Pendant les loisirs que leur fit leur souverain après 1848, les Napolitains eurent le temps d’étudier les successeurs et les adversaires du maître. M. Tari par exemple, se frayant un chemin entre Hegel et Herbart, acceptant du premier la méthode dialectique sans le suivre dans la déification de la raison, acceptant de l’autre l’originalité de la nature, mais en la subordonnant à la prédominance de l’esprit, se fit une esthétique mitoyenne, à la fois hardie et prudente, qui, tout en affrontant les plus hauts sommets, reconnaissait pourtant quelque chose de supérieur et d’inabordable. Quant à M. Bertrando Spaventa, ce qui fait l’originalité de son enseignement, c’est sa préoccupation de la philosophie italienne. Il n’impose point à ses lecteurs le système de Hegel, il tâche de les y amener patriotiquement, en leur prouvant que l’Italie y marchait d’elle-même dès la renaissance, guidée par les penseurs éminens qu’elle a produits. Il établit sans peine que la philosophie italienne fut tout d’abord, et longtemps avant Campanella, la critique et la négation de la scolastique. Il constate que Campanella, Giordano Bruno, Gianbattista Vico se frayaient à l’écart et dans l’ombre un sentier parallèle à la grande route qu’ouvrait ailleurs avec tant d’éclat le génie de Descartes, de Spinoza, de Kant ; puis il montre Galluppi, Rosmini, Gioberti, suivant de loin, à contrecœur, peut-être à leur insu, le mouvement contemporain de la pensée germanique. « La science est la plénitude de l’acte créateur, la réalité absolue de la pensée, » — voilà le dernier mot de Gioberti et de la philosophie italienne : c’est à peu près aussi le dernier mot de la philosophie allemande avec Hegel ; mais entre l’une et l’autre, M. Spaventa le reconnaît, la différence est grande, car en Italie les philosophes ne se succèdent pas sans interruption, sans interrègnes ; l’un ne continue pas l’autre, il y a des écarts, des bonds irréguliers de Campanella à Vico, de Vico à Gioberti. Aujourd’hui le grand mouvement se fait hors d’Italie. Les philosophes contemporains, les Napolitains comme les Piémontais, ne font guère pour le moment que le suivre : M. Spaventa l’a courageusement reconnu dans ses leçons[1] ; mais il a concilié cet aveu avec une vive démonstration de ce qui fait la valeur du génie italien.


« Galluppi (a-t-il dit), Rosmini, Gioberti, suivent un chemin déjà parcouru, sinon aplani, par d’autres, et sont contraints, par la force même des choses, à être des imitateurs et des répétiteurs, même quand ils disent

  1. Voir sa Filosofia di Gioberti, volume primo ; Napoli 1863. — Prolusione e introduzione alle Lezioni di Filosofia nella Université di Napoli ; Napoli 1862, etc.