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destiné à nous tenir au courant des productions d’un pays possédant en propre et par excellence le don de mélodie, qui, avec ses ouvrages imprégnés des chaudes saveurs du terroir, nous envoyait d’admirables virtuoses dont la voix, l’art, le magnétisme, en doublant l’attrait de la bonne musique, réussissaient à prêter du charme même à la mauvaise. Cela se prolongea de la sorte un quart de siècle, et quand on cherche à se rendre compte de ce mouvement, on croirait avoir affaire moins à une histoire de l’art musical qu’à l’histoire de la mode en musique. Un maître chasse l’autre ; de saison à saison, comme pour les vêtemens, l’étoffe varie„ la poupe change. La première importation du rossinisme, par exemple, fait événement ; en vue de tant d’éclat, de fraîcheur, tout l’ancien fonds de magasin n’est que friperie. Cimarosa, Paisiello, Zingarelli, Paër, marchandises au rabais dont on ne veut plus ! Ici l’œuvre n’a d’intérêt qu’autant qu’elle est nouvelle. L’article nouveautés passe avant tout. Laissez faire : Rossini, lui aussi, n’aura qu’un temps ; je parle du Rossini de la première heure, de l’Italien italianisant. Comme il a chassé les vieux maîtres, d’autres plus jeunes à son tour le chasseront. En attendant que ceux-là surgissent, ses propres ouvrages se succèdent avec une rapidité telle que littéralement l’un pousse l’autre. Qui connaît seulement aujourd’hui les titres de ses trente opéras ! Où sont-ils ces brillans péchés de jeunesse, Aurélien à Palmyre, Corradin, Elisabeth, Zelmire, Armide, Zoraïde ? Et si de Moïse, du Comte Ory et de Guillaume Tell on parle encore, on parlera toujours, comment ne pas reconnaître que c’est à un déplacement d’influence que la chose est due ? De cette évolution radicale, Rossini lui-même fut l’auteur en modifiant sa manière lors de sa venue à Paris, en rattachant la tradition italienne au système français. Un Italien qui, arrivant chez nous, consentît à apprendre notre langue musicale, à la parler, cela ne s’était guère vu ; il fallait donc que la France possédât quelque nationalité musicale pour soumettre ainsi du premier coup à son esprit, à ses mœurs dramatiques, le représentant illustre d’une école jusque-là intraitable sur les transactions, et qui, non contente d’avoir débauché Mozart, osait en 1807 commander à Beethoven un opéra pour Milan. Quoi qu’il en soit, Auber et Meyerbeer aidant, la nationalité française prit le dessus ; le nord triompha cette fois du midi, et si jadis il fut de mode que les Haendel, les Mozart allassent à l’école chez les Italiens, si parmi nous des musiciens français, Halévy, par exemple, écrivant Clary, s’étaient pris à sacrifier aux grâces ausoniennes, les temps étaient venus où les Italiens devaient commencer à regarder du côté du nord. Rome décidément n’était plus dans Rome, mais à Paris. La base d’opération s’était déplacée.

Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi, il semble qu’à chacun de ces noms l’échelle descende d’un degré. Rossini crée et fait époque ; avec moins de circonférence et plus de maniérisme, Bellini crée encore, reste Italien ; mais à Donizetti s’ouvre l’ère de la décadence éclectique. On sent, ici qu’il