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de l’adresse, ordinairement attendue avec une vive impatience et une ardente curiosité, finit presque toujours par laisser le public dans un visible état de lassitude. La discussion de l’adresse est comme une session théorique qui n’est point proportionnée à la session pratique.

Le débat de l’adresse a naturellement compris les questions intérieures et les questions extérieures. Il suffit d’énumérer les sujets les plus graves parcourus par le débat pour motiver le reproche de trop embrasser et de mal étreindre qui est naturellement dirigé contre l’adresse. À propos de l’intérieur, on a parlé (nous ne mentionnons que les graves sujets) de la liberté de la presse, de la liberté électorale, de l’instruction primaire, des rapports de l’église et de l’état ; au dehors, on s’est surtout arrêté à l’affaire du Mexique et à la convention du 15 septembre, c’est-à-dire à la double question que posent les situations respectives du pouvoir temporel et de l’Italie unifiée.

Nous croyons que la discussion des questions intérieures a été conduite cette année de manière à porter plus de fruits que les années précédentes. Les orateurs de l’opposition, depuis M. Pelletan jusqu’à M. Guéroult, en passant surtout par M. Jules Favre, ont plus touché, ce nous semble, au vif des choses qu’on ne l’avait fait précédemment. Tandis que M. Thiers avait si bien établi le terrain de l’opposition réclamant les libertés nécessaires, ces libertés sans lesquelles, suivant le mot très juste de M. Ollivier. au XIXe siècle en Europe, aucun gouvernement civilisé ne peut exister avec dignité, les autres orateurs libéraux ont mis en évidence, avec plus de netteté qu’on ne l’avait tenté encore, la prétention du gouvernement à conserver sur les manifestations les plus directes de la vie politique les attributions du pouvoir discrétionnaire. La différence entre le gouvernement et l’opposition libérale est par là clairement et profondément marquée. C’est un grand résultat que d’être arrivé ainsi à des positions nettement définies. On est facilement convaincu de l’importance de ce résultat pour peu que l’on ait médité sur l’histoire de la révolution française depuis son origine. Le premier élan de la France de 1789, cette première unanimité impétueuse qui a été la gloire honnête et pure de la révolution commençante, ont été dirigés contre le pouvoir arbitraire : avant même de songer à l’égalité, la première aspiration de la France révolutionnaire fut de substituer au régime arbitraire le règne de la liberté définie et réglée par la loi. Un grand témoin de cette vérité qu’il faut restituer à l’histoire de la révolution française nous arrive à propos. On vient de publier des fragmens de M. de Tocqueville, des notes, des ébauches qui devaient servir à l’achèvement de l’œuvre qu’il avait entreprise sur l’ancien régime et la révolution. Dans ces tâtonnemens de son travail intime qui nous sont révélés, ce profond, ce sagace, ce loyal esprit se démontre à lui-même avec une autorité victorieuse que le premier et unanime effort de la révolution, celui qui réunit toutes les classes, noblesse, clergé et tiers-état, l’effort national par excellence,